extrait du communiqué de presse :
Commissaires : Sophie Makariou, présidente du MNAAG, commissaire générale Hélène Gascuel, conservatrice des collections textiles du MNAAG
Considérée par son pays comme la plus grande figure de la mode coréenne, LEE Young-hee (1936-2018) était une exceptionnelle créatrice qui a su propulser l’image de la Corée moderne et décomplexée sur la scène internationale. Puisant son inspiration dans le vêtement traditionnel des femmes coréennes, le hanbok, son art s’épanouit dans une modernité sans cesse renouvelée passant de la parfaite maîtrise des formes traditionnelles aux figures aériennes d’un hanbok libéré. Le musée national des arts asiatiques - Guimet a reçu en 2019 la donation exceptionnelle de 1300 pièces, issues du fonds des textiles de LEE Young-hee, dont de nombreux accessoires, et devient ainsi le récipiendaire de la plus importante collection au monde de textiles coréens en dehors de la Corée. L’institution lui consacre cet automne une exposition rétrospective conçue à partir de textiles anciens, d’accessoires et de quelque 75 pièces de Haute Couture.
Le parcours revient sur trois domaines essentiels et complémentaires de la création de LEE Young-hee : ses recherches consacrées au vêtement coréen traditionnel, sa création de hanbok modernes – mettant en avant le soin infini qu’elle apporte aux matières, aux teintures et aux détails –, enfin sa création Haute Couture – par laquelle elle a porté la mode de son pays sur la scène mondiale. Une place particulière est réservée aux « costumes de vent », hanbok en organza de soie coloré, fluides, légers, au drapé versatile, qu’elle a débarrassés de la traditionnelle veste courte pour mieux les faire entrer dans la garde-robe des femmes d’aujourd’hui.
Le vêtement coréen devient rapidement une passion qu’elle approfondit par des recherches historiques menées avec l’universitaire SEOK Ju-seon, spécialiste reconnue de l’histoire du costume. Elles s’attèlent ensemble à reconstituer minutieusement les vêtements d’après les peintures des rouleaux dépeignant les cérémonies de cour. Les costumes des officiels préservés de l’époque Choson (1392-1910), plus encore les costumes de cour, sont d’une extrême rareté. LEE Young-hee met alors en place un processus de « recréation » de ces pièces ; son travail s’alimente également de la collection de pièces, textiles et accessoires anciens, qu’elle rassemble tout au long de sa carrière.
Sur fond de changements politiques en Corée, le dynamisme économique et l’ouverture du pays en 1988, au moment des Jeux olympiques de Séoul, produisent une évolution singulière et radicale de son travail. Elle se sent investie d’une mission : faire connaître le hanbok à l’étranger, le faire entrer dans le monde de la mode afin qu’il ne soit plus considéré comme un simple héritage de traditions passées.
En 1993 LEE Young-hee est la première Coréenne à présenter une collection de prêt-à-porter à Paris. Jusqu’en 2004 elle y défilera à plus de vingt reprises à l’occasion de la Fashion Week. En 2010, elle revient à Paris pour présenter sa première collectionHaute Couture, qui sera suivie de deux autres, en 2012 et 2016.
À Paris comme à New York, elle présente ses « étoffes de vents et de songes », explorant tous les matériaux traditionnels (ramie, soie), expérimentant de nouvelles compositions à base de fibre d’ananas et de soie, jouant avec les effets de transparences et de matières rugueuses. Son vocabulaire varié librement inspiré de la combinaison traditionnelle d’une ample robe s’élargissant sous la poitrine et d’un court boléro noué de rubans est constamment réinventé. Raccourci, superposé, retaillé, combiné, peint, le hanbok de LEE Young-hee adopte aussi le jean et promeut la couleur intense et le noir profond. La phrase de Shakespeare « Nous sommes de l’étoffe dont nos rêves sont faits » pourrait être la devise de LEE Young-hee.
Présentation de l’exposition
#Introduction LEE Young-hee se distingue des autres créateurs de mode coréens par son indéfectible attachement au hanbok, le vêtement traditionnel de son pays. Elle s’est d’ailleurs toujours définie avant tout comme une « créatrice de hanbok » et non comme une « styliste de mode ». Née d’une mère couturière qui lui a enseigné l’art de la teinture et du montage, elle embrasse sur le tard une carrière de créatrice et ouvre sa première boutique à Séoul en 1976. Elle se passionne rapidement pour l’histoire de ce vêtement qu’elle étudie auprès de son maître, le professeur SEOK Ju-seon avec laquelle elle entame d’infatigables recherches et se lance dans un méticuleux travail de reconstitution. Sa création est marquée par une exigence implacable quant à la qualité des matériaux qu’elle travaille, privilégiant les matières naturelles (la soie et la ramie principalement) et le travail à la main. Dès les années 1980, LEE Young-hee oeuvre à la diffusion du hanbok et à sa promotion sur la scène internationale en participant à d’innombrables défilés en Corée et à l’étranger. Son ambition était de remettre ce vêtement traditionnel au goût du jour et de le faire entrer dans l’histoire de la mode. C’est pour cela qu’elle vient à Paris où elle présente vingt-deux collections de prêt-à-porter entre 1993 et 2004, avant de défiler en Haute Couture, en 2010, 2012 et 2016. En osant moderniser le hanbok, LEE Young-hee a réussi son pari de le faire revenir dans la vie des femmes d’aujourd’hui et entrer dans les garde-robes du monde entier.
#Le hanbok, vêtement traditionnel de la Corée Le hanbok, littéralement « vêtement coréen », est composé d’une veste (jeogori) associée avec une jupe (chima) pour les femmes ou un pantalon (baji) pour les hommes. Cet ensemble peut être complété, en fonction du rang du porteur, de la saison, ou de l’occasion, par diverses robes de dessus, gilets, vestes, ou manteaux ; sans oublier les indispensables accessoires : coiffes et chapeaux, épingles de coiffure, ornements en tous genres, éventails, ceintures, chaussures, chaussettes et sous-vêtements. Le hanbok est réputé pour son exceptionnelle permanence au fil des siècles. Son origine remonte à l’époque des Trois Royaumes (57 av. notre ère - 668 de notre ère), période à laquelle les ancêtres du peuple coréen portaient déjà un vêtement en deux parties. Depuis les époques Goryeo (918-1392) et Joseon (1392-1910), la veste jeogori est fermée par un ruban (goreum) fixé dans le prolongement de la bande d’encolure et noué sur le côté droit. Ce vêtement est resté presque inchangé jusqu’à nos jours. Avec l’occidentalisation, il tend néanmoins à disparaître dans la seconde moitié du 20e siècle et n’est plus porté que pour certaines occasions à l’instar des mariages, cérémonies du premier anniversaire ou fêtes du Nouvel An.
#Les « re-créations » de LEE Young-hee Après avoir ouvert sa boutique de hanbok à Séoul en 1976, LEE Young-hee se passionne pour l’histoire de ce vêtement. Elle entreprend de véritables recherches avec l’appui de son professeur SEOK Ju-seon, ethnologue, collectionneuse et grande spécialiste du vêtement coréen. C’est avec son aide que LEE Young-hee se consacre à ressusciter les habits du passé, donnant naissance à des reconstitutions de vêtements anciens aujourd’hui rares, altérés ou même disparus : les habits de cérémonie du couple impérial et des dames de la cour, les tenues des lettrés, fonctionnaires et soldats, les costumes des danseuses, musiciennes et courtisanes, ainsi que les vêtements portés au quotidien par les gens du peuple, sans oublier les vêtements pour enfant qu’elle affectionnait tout particulièrement. Pour créer ces modèles, LEE Young-hee s’appuie sur une étude approfondie des vêtements conservés et des peintures anciennes. Son travail méticuleux de « re-création » poursuit un double objectif de beauté et de fidélité historique dans le choix des matériaux, techniques, couleurs et motifs. Ces reconstitutions occupent une place essentielle dans son travail. Dès les années 1980, elle les présente à l’occasion de défilés – en Corée et à l’étranger – généralement en première partie, avant ses hanbok modernisés et ses créations contemporaines.
# La collection de LEE Young-hee À l’instar de son professeur, SEOK Ju-seon, connue pour avoir offert plus de 3 300 pièces de vêtement au musée de l’Université Dankook qui porte aujourd’hui son nom, LEE Young-hee a réuni au fil des années une collection de vêtements, d’accessoires et d’objets liés aux savoir-faire textiles traditionnels de la Corée. Cette collection représentait pour elle un matériel de recherche et une source d’inspiration pour sa création, mais aussi un outil pour la promotion du hanbok. La volonté de faire connaître et aimer ce vêtement au sein de son pays d’abord, mais aussi à l’étranger, a guidée LEE Young-hee toute sa carrière. C’est ainsi qu’en 1996, elle présente à l’Orangerie du Luxembourg à Paris une exposition intitulée « hanbok Coréen : Costume de Vent ». Ses créations y côtoient les objets de sa collection ainsi que certaines de ses reconstitutions de vêtements anciens. Huit ans plus tard, elle fonde à New York le LEE Younghee Museum of Korean Culture dont la collection mêle, selon le même principe, les pièces anciennes issues de sa collection et ses reconstitutions. Après la fermeture du musée en 2014, la collection a rejoint la Maison de LEE Younghee à Séoul, de sorte qu’elle fait aujourd’hui partie de la donation consentie en faveur du Musée national des arts asiatiques - Guimet.
# Le hanbok contemporain selon LEE Young-hee LEE Young-hee était une couturière accomplie et une coloriste de génie, deux qualités qu’elle disait devoir à sa mère ainsi qu’à son professeur SEOK Ju-seon et qu’elle a su mettre à profit pour renouveler l’art du hanbok. Elle avait parfaitement compris que la beauté de ce vêtement, aux lignes simples et fluides et à la silhouette si caractéristique, réside pour une large part dans l’éclat des matériaux, le raffinement des finitions et l’harmonie des couleurs. LEE Young-hee a toujours puisé son inspiration aux sources de la tradition coréenne et privilégié le travail de matières naturelles – la soie et la ramie en particulier –, jouant sur les effets de texture et de transparence. Dans chacun de ses hanbok, les matériaux sont sublimés par les savoir-faire mis en oeuvre pour la confection et le décor. Qu’il soit teint, brodé, surpiqué, assemblé en patchwork, peint à l’encre ou encore estampé d’or, celui-ci est le plus souvent réalisé à la main. LEE Young-hee utilisait en outre sa pratique de la teinture pour créer de nouvelles harmonies colorées fondées sur l’usage de teintes naturelles. Souvent chatoyantes, ces couleurs ont d’ailleurs joué un rôle essentiel dans le succès de ses créations.
# De Séoul à Paris : les créations prêt-à-porter et Haute Couture de LEE Young-hee Non contente de moderniser le hanbok pour le faire revenir dans la garde-robe des Coréennes ou d’oeuvrer pour sa promotion à travers le monde, LEE Younghee entendait le faire entrer dans l’histoire de la mode afin qu’il ne puisse plus être réduit à un simple élément du folklore. C’est ainsi que Paris, capitale internationale de la mode, lui est apparue comme une destination incontournable. En mars 1993, elle participe pour la première fois à la Semaine de la Mode en présentant une collection de prêt-à-porter au Pavillon Gabriel. Le défilé est clos par des mannequins en hanbok traditionnel. À partir de cette date et jusqu’au printemps 2004, LEE Young-hee participe assidûment à l’événement, y présentant chaque année deux collections de prêt-à-porter (hormis pour « l’hiver 1998 »). Elle se tournera ensuite vers les États-Unis, où elle inaugure à New York le LEE Young-hee Museum for Korean Culture. Mais reviendra à Paris en juillet 2010, 2012 et 2016 pour présenter ses trois collections « Haute Couture ». Sans en avoir le titre, ses créations prêt-à-porter présentaient déjà certaines caractéristiques de la Haute Couture qui requiert un savoir-faire artisanal. Toutes partagent les qualités de ses hanbok et reprennent les formes, matières, couleurs et motifs du vêtement traditionnel coréen qui demeure la source première et inépuisable de son inspiration.
# Les Costumes de vent Le final du premier défilé de prêt-à-porter que LEE Young-hee présente à Paris en mars 1993 n’est composé que de hanbok. Après avoir pris la mesure de la réception de ce vêtement par le public parisien et les critiques de mode occidentaux qui assistent à l’évènement, elle décide de clore son défilé suivant (collection « printemps-été 1994 »), en octobre la même année, par des mannequins vêtues de la seule jupe (chima) nouée au-dessus de la poitrine. Ces modèles en organza de soie, fluides, légers et versatiles, sont sublimés par des dégradés de teintes naturelles et un subtil jeu de drapé en transparences. Les « Costumes de vent » qui deviendront sa marque de fabrique – trouvant désormais leur place en fin de défilé – sont nés. Ils doivent leur poétique surnom à l’article que leur consacre, en septembre 1994, Laurence Benaïm, journaliste pour Le Monde. Par ce modèle emblématique LEE Young-hee révolutionne le vêtement traditionnel coréen en abandonnant la veste courte (jeogori), pour faire du hanbok un vêtement d’un seul tenant.
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