Légendes de gauche à droite : 1/ Domenico Beccafumi (Valdibiena 1486 – 1551 Sienne), Trois prophètes. Plume et encre brune, pierre noire et rehauts de gouache blanche, 412x209 mm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 6773. 2/ Giovanni Francesco Barbieri, dit Guercino (Cento 1591 – 1666 Bologne), Cinq études pour Marie-Madeleine, vers 1620. Plume et encre brune, lavis brun, 242x398 mm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 5076. 3/ Giovanni Francesco Barbieri, dit Guercino (Cento 1591 – 1666 Bologne), Étude du dos d’un homme assis, vers 1619. Sanguine et rehauts de craie blanche, 337x272 mm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2536.
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extrait du communiqué de presse :
commissaires de l’exposition : Ger Luijten, directeur de la Fondation Custodia Maud Guichané, assistante de conservation, chargée de la régie des collections de la Fondation Custodia
Au printemps 2020, la Fondation Custodia présente 85 des 600 dessins italiens qu’elle conserve et qui furent collectionnés en grande partie par Frits Lugt, en l’espace d’un demi-siècle seulement. Le public peut découvrir des œuvres exécutées par des artistes de la Renaissance au Baroque, parmi lesquels Filippino Lippi, Andrea del Sarto, Federico Barocci, les Carracci, Palma il Giovane ou encore Guercino.
Dans la préface du catalogue Le Dessin italien dans les collections hollandaises (1962), Lugt présentait l’acte de dessiner comme une “confession involontaire” par laquelle nous surprenons le peintre dans ses recherches et ses réflexions. “On partage ses pensées, écrivait-il, on se heurte avec lui aux difficultés, on admire la manière dont il parvient à les vaincre.”
Avant de devenir objet de collection, le dessin constituait un élément essentiel du travail de l’artiste dans l’atelier. L’esquisse qu’il traçait sur la feuille était son premier geste car elle était la traduction visuelle la plus immédiate et naturelle de son inspiration et de ses idées.
Préoccupation majeure de la Renaissance, la représentation du corps humain fit l’objet d’un intérêt constant dans l’art italien au cours des siècles. Cherchant à atteindre un idéal de narration dans une image qui, par nature, est figée et en deux dimensions, les peintres s’attachèrent à représenter les personnages dans des proportions et des attitudes éloquentes. L’exposition met en avant la manière dont les artistes parvinrent à résoudre les questionnements formels auxquels ils étaient confrontés, grâce à la pratique du dessin. Comment définir la position des modèles et les liens qui les unissent ? Comment traduire les effets d’ombre et de lumière sur les corps ou les draperies ? Comment disposer les figures dans un espace contraint, correspondant à celui de l’œuvre finale ?
Étudier la figure : variations et repentirs Juxtaposées sur un même support ou développées sur plusieurs feuilles, les esquisses, en se succédant, nous permettent de comprendre la manière dont les artistes faisaient progressivement évoluer leurs figures sur le papier, jusqu’à arrêter l’attitude qui leur semblait la plus juste, la plus à même d’incarner une action, un récit. Dessinateur talentueux de la Renaissance florentine, Filippino Lippi réalisa un grand nombre d’études de figures. Avec spontanéité et assurance, il représentait ses modèles – souvent de jeunes garçons de l’atelier – dans les postures variées, constituant ainsi un véritable répertoire dans lequel puiser pour leurs peintures. L’immédiateté du dessin, stimulée aussi par le développement des techniques graphiques et des supports, offrait aux artistes la possibilité de fixer rapidement une attitude, un mouvement. Avec sa plume bouillonnante, Guercino représenta à cinq reprises une Marie-Madeleine assise dont la diversité des poses le conduisit à explorer les qualités expressives de la figure et dévoile la puissance de son imagination.
Le potentiel expressif des détails anatomiques Les artistes italiens portèrent également une grande attention à l’étude des détails anatomiques. La représentation des mains, en particulier, est primordiale, car celles-ci sont porteuses de sens. La codification de la position ou de l’objet tenu par chacune des six étudiées par Alvise Vivarini contribue pleinement à l’identification du saint auquel elle correspond dans ses peintures. Dans un dessin plus tardif, Federico Barocci exécuta à la pierre noire, sanguine et craie blanche, une étude magistrale de la tête et de la main d’un homme. Cette feuille est préparatoire à la figure du serviteur apparaissant dans la Cène, peinte par l’artiste pour la cathédrale d’Urbino, dans les années 1590. Elle témoigne de l’importance accordée par Barocci à l’expressivité du visage et des gestes de chacun des personnages de ses compositions.
Lier les figures entre elles : les groupes L’exposition se penche aussi sur la manière dont les artistes cherchaient à retranscrire, en deux dimensions, une relation entre des figures qui se développe dans l’espace. Les iconographies très largement illustrées dans l’art italien de la Vierge à l’Enfant ou de la Sainte Famille sont des exemples propices à la comparaison des expérimentations formelles et compositionnelles proposées par les dessinateurs tels que Girolamo Genga, Domenichino et bien d’autres, qui tentaient de saisir les changements de position des personnages, les contacts physiques entre la mère et son enfant. L’unité du groupe des trois prophètes, esquissé par l’artiste maniériste Domenico Beccafumi, n’est pas, quant à elle, basée sur des contacts physiques, mais sur un lien platonique. Notre impression de surprendre les personnages en pleine conversation est provoquée par l’attitude des figures et le jeu des regards. En nous tournant le dos, le prophète du premier plan exclut l’observateur et, ce faisant, renforce son lien avec les deux autres hommes, dont la proximité est accentuée par l’exiguïté de la feuille.
Définir un cadre Tout au long du travail préliminaire, les artistes italiens étaient guidés par les spécificités de l’œuvre qui leur avait été commandée. Dans leurs études et leurs esquisses, ils agençaient les figures en prenant en considération son format spécifique, ses dimensions et sa localisation, qu’il s’agisse d’une petite peinture de chevalet, d’un tableau d’autel, ou d’un grand décor peint à fresque. Les dessins en portent souvent les marques. La feuille de Bernardino Campi peut être rapprochée d’autres dessins dans lesquels l’artiste représenta des hommes enclavés dans une niche étroite. Contraints par l’espace dans lequel ils se tiennent, ces personnages, d’abord identifiés comme des philosophes, semblent plutôt être des prisonniers. Ils pourraient avoir été imaginés par Campi pour des décors éphémères peints en trompe-l’œil et dressés à l’occasion d’une entrée princière dans une ville. Dans une étude aboutie, Domenico Piola décrivit avec précision le cadre architectural et les éléments décoratifs qui délimitent la surface destinée à sa composition. Les multiples sens de lecture de cette feuille et le point de vue da sotto in su la désignent derechef comme préparatoire à un décor de plafond que l’artiste exécuta au Palazzo Rosso de Gênes en 1679.
Traduire les lumières et les ombres Le dernier temps de l’exposition est consacré à l’étude des ombres et des lumières dans les dessins de figures. Comme pour les précédents, les réponses apportées par les dessinateurs dépendent des effets recherchés, des techniques dont ils disposaient et surtout, de leur propre sensibilité. La remarquable Étude de draperie de Lorenzo di Credi témoigne de la finesse de son observation de la lumière et de sa capacité à rendre les qualités plastiques du drapé grâce à la technique exigeante de la pointe de métal sur papier préparé et coloré. Dans une captivante Étude d’une tête de jeune femme, sans doute l’épouse de l’artiste, Andrea del Sarto opta pour la pierre noire dont il exploita tout le potentiel. Alternant un énergique réseau de hachures, des zones estompées et en réservant par endroit le papier, il obtint une synthèse raffinée entre les lignes, les ombres et les lumières. Le naturalisme et la douceur du modelé de ce dessin diffère grandement des effets luministes exaltés des lavis vénétiens, tels ceux de Palma il Giovane ou d’Alssandro Maganza. Ces dessins ont pourtant en commun l’intérêt son incidence sur les formes, et la manière dont son intensité participe à dramatiser la présence d’une figure.
Loin d’être exhaustifs, ces questionnements auxquels peuvent se confronter les dessinateurs permettent de rassembler les feuilles italiennes de la Fondation Custodia et de les faire dialoguer. L’exposition est une précieuse chance de découvrir ces œuvres sous un autre jour, plus proche de la réalité et de l’intimité de l’artiste en train de créer.
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