Légendes de gauche à droite : 1/ Paul Cezanne, Nature morte, poires et pommes vertes, vers 1873. Huile sur toile, 22 x 32 cm. Paris, musée de l’Orangerie, collection Jean Walter et Paul Guillaume © RMN-Grand Palais (musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski. 2/ Jean-François Millet, dit Francisque Millet, Paysage classique, XVIIe siècle. Huile sur toile, 96 x 128 cm. Paris, musée du Louvre, dépôt au musée des beaux-arts de Marseille. © Ville de Marseille, Dist. RMN-Grand Palais / Jean Bernard. 3/ Paul Cezanne, La Montagne Sainte-Victoire, vers 1890. Huile sur toile, 65 x 95,2 cm. Paris, musée d’Orsay, donation de la petite-fille d’Auguste Pellerin, 1969. © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.
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extrait du communiqué de presse :
Commissariat : Alain Tapié, conservateur en chef, honoraire des musées de France Marianne Mathieu, Historienne de l’art, Directrice scientifique du musée Marmottan Monet.
Le musée Marmottan Monet organise, du 27 février au 5 juillet 2020, une exposition intitulée Cezanne et les maîtres. Rêve d’Italie. Pour la première fois, le travail de l’Aixois sera mis en regard de chefs-d’oeuvre des grands maîtres italiens du XVIe au XXe siècle. Ainsi une remarquable sélection de toiles de Cézanne, parmi lesquelles l’iconique Montagne Sainte-Victoire, les incontournables Pastorale et natures mortes, fera face à un rare ensemble de peintures anciennes signées Tintoret, Bassano, le Greco, Giordano, Poussin, Rosa, Munari et, pour les modernes, Boccioni, Carrà, Rosai, Sironi, Soffici, Pirandello ou encore Morandi.
Cette manifestation inédite a reçu le soutien exceptionnel de quarante-trois prêteurs : collections particulières ainsi que musées français, canadien, américains, suisses, allemands, écossais, espagnol, japonais et, bien sûr, italiens ont permis de réunir une soixantaine de toiles. Venues du monde entier, ces oeuvres mettent en lumière l’importance de la culture latine dans l’art de Cezanne et la manière dont l’Aixois s’est nourri de l’exemple de ses illustres prédécesseurs pour asseoir une peinture « nouvelle ». Elles illustrent également l’influence qu’a exercée à son tour le Français sur les artistes du Novecento.
La première partie de l’exposition est consacrée au dialogue que Cezanne entretient avec les maîtres italiens des XVIe et XVIIe siècles tout au long de sa vie. Lecteur de Virgile, d’Ovide et de Lucrèce dans le texte, infatigable visiteur des musées du Louvre et d’Aix-en-Provence, Cezanne – qui ne fera jamais le voyage en Italie – se tourne dès ses débuts vers les maîtres de ce pays. L’influence de Venise est déterminante. Son hommage au plus célèbre élève du Titien, le Greco, dont il réinterprète La Femme à l’hermine (collection particulière), y fait référence. Pour autant, Cezanne ne verse jamais dans la simple copie. Au contraire, il assimile l’art des musées pour créer une oeuvre qui lui est propre. Il en dégage l’esprit et le modernise. Des peintres de la lagune, il étudie la touche. Le Portrait d’Antonio da Ponte d’après Bassano (Paris, musée du Louvre) et sa Tête de vieillard (Paris, musée d’Orsay) témoignent d’une même approche de la couleur. À Venise et à Aix, elle est l’élément clé dont émergent tout à la fois la forme, le volume et la lumière. Elle est la pierre angulaire de leur art. En ce sens, la couleur prime sur le dessin, elle le contient. Cezanne capte également l’emphase, voire le tragique d’un Tintoret. Ses toiles les plus violentes, exécutées à ses débuts, s’inscrivent dans ce sillon. Son Meurtre (Liverpool, Walker Art Gallery) à l’impulsion de La Déploration (Nancy, musée des Beaux-Arts) de Tintoret, sa Femme étranglée (Paris, musée d’Orsay) reprend, en l’inversant, le mouvement du corps du Christ de La Descente de Croix du même artiste (Strasbourg, musée des Beaux-Arts).
Le modèle napolitain l’inspire également. Les toiles sont plus silencieuses, empreintes de mystère, comme le montre le voisinage du Prophète en buste lisant du Maître de l’Annonce aux bergers (Bordeaux, musée des Beaux-Arts) et du Portrait de la mère de l’artiste (Saint Louis Art Museum). Toutefois, c’est à travers le modèle romain et Nicolas Poussin que Cezanne élabore l’oeuvre de la maturité. Dorénavant l’Aixois ne quitte plus le Midi, il embrasse le point de vue des classiques, leur modèle est le même : la nature et la lumière méditerranéennes. La Montagne Sainte-Victoire (Paris, musée d’Orsay) fait alors écho à la silhouette des monts Albains que Francisque Millet place dans son Paysage classique (Marseille, musée des Beaux-Arts). Château-Noir (Paris, musée Picasso) et la carrière de Bibemus dialoguent avec les éperons rocheux du Latium tels qu’ils apparaissent dans le Paysage avec Agar et l’ange de Poussin (Rome, Galleria Nazionale, Palazzo Barberini). De fait, Cezanne partage avec Poussin le même désir de permanence ; il veut « faire du Poussin sur nature ». Ainsi les nymphes du Paysage de Bacchus et Cérès (Liverpool, Walker Art Gallery) et les figures du Moïse sauvé des eaux (Paris, musée du Louvre) préfigurent-elles les baigneuses sans que celles-ci les copient jamais.
Empreintes du même équilibre classique, ces baigneuses résument la démarche de Cézanne : « faire de l’impressionnisme quelque chose de solide et durable comme l’art des musées ».
La seconde partie du parcours est dédiée à l’influence de Cezanne sur les peintres du Novecento. Soffici, Carrà, Boccioni, Morandi, Pirandello découvrent l’Aixois soit à Paris à l’occasion de la rétrospective posthume de 1907, soit en Italie où il est exposé dès 1908 et recherché des amateurs Egisto Paolo Fabbri et Charles Loeser, installés à Florence. Tous reconnaissent en Cezanne le passeur d’une certaine idée classique, un peintre de la permanence, et établissent un lien entre la solidité des primitifs italiens et le Français. Les Italiens rompent définitivement avec la peinture religieuse ou mythologique des anciens ; ils privilégient le dépouillement et la simplicité des thèmes cézanniens : paysages, figures et natures mortes. Le portrait d’enfant de Boccioni (collection particulière) fait écho à celui de Mme Cezanne (collection particulière). Cabanes sur la plage de Carrà (Turin, Galleria Civica d’Arte Moderna) et Paysage de Morandi (Aix-en-Provence, musée Granet) partagent l’atmosphère silencieuse, voire mystique de l’ultime chef-d’oeuvre de Cézanne, Le Cabanon de Jourdan (Rome, Galleria Nazionale d’Arte Moderna e Contemporanea). Les Cinq Baigneurs (Paris, musée d’Orsay) de l’Aixois offrent à Morandi en 1915 et à Pirandello en 1955 la matrice de leurs toiles sur le même thème. Enfin, les natures mortes de Morandi mises en regard de Nature morte, poires et pommes vertes (Paris, musée de l’Orangerie) résument à elles seules la portée métaphysique et silencieuse qui réunit l’œuvre de Cezanne et celles des maîtres italiens du Novecento.
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