Légendes de gauche à droite : 1/ Peigne double décoré de scènes religieuses : Annonciation et Adoration des Mages, Pays-Bas méridionnaux ?, 15e siècle. Ivoire sculpté et peint. Musée de Cluny, Cl. 400. © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Jean-Gilles Berizzi. 2/ Vierge à l’Enfant ouvrante ; Trinité (intérieur), Prusse Orientale, Vers 1400. Bois polychromé ; bois peint à l’intérieur. Musée de Cluny, Cl. 12060. © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado. 3/ Recueil de sermonts avec chaîne, France de l’Est (?), 2e moitié du 15e siècle. Parchemin, cuir, métal. Musée de Cluny, Cl. 14395. © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - muséenational du Moyen Âge) /Michel Urtado.
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texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.
Il y a l'histoire, celle qui s'écrit dans les palais et sur les champs de bataille, et puis il y a les hommes et leurs vies. Comment vivaient-ils, ces femmes et ces hommes du Moyen Âge ? En complément de l'exposition Trésors, ce sont d'autres merveilles que le musée de Cluny présente: des objets du quotidien, parfois modestes, émouvants de leur proximité. Sous de grands cubes transparents, ces ustensiles et œuvres semblent avoir été déposés là ce matin même, leur patine résultant plus de l'usage que du passage du temps. Les murs bleus font ressortir les ors, les bois, les teintes de métal et de cuir. Le quotidien médiéval est rendu visible par des objets: on verra des petits fragments de matins où l'on se coiffe, des jeux, de la foi et de la piété, des repas partagés, la dîme payée incarnée par le récipient servant à la mesurer.
Le Christ et la Vierge se font face sur deux émaux peints sur cuivre ; le visage diaphane de la madone, ses mains gracieuse en prière sont lumineux comme des bijoux dans l'écrin du drapé bleu profond, du rouge sanglant de son vêtement. Les objets de dévotion s'emportent avec soi comme ces enseignes de pèlerinages que l'on arborait sur sa tenue, formes simple de plomb-étain. Un médaillon-reliquaire byzantin de cuivre doré au dessin presque naïf de Vierge à l'Enfant rencontre une scène de crucifixion finement gravée dans un triptyque d'ivoire d'éléphant.
La Présentation au temple peinte sur un panneau de bois offre une singularité: dans le bas du tableau un enfant joue, chevauchant un cheval de bois. L'enfance et les jeux font partie de la vie de la société médiévale, en témoignent pions de trictrac et pièces de jeux d'échecs en ivoire ou en corne de cervidé, cartes à jouer imprimées au pochoir ou à la gravure sur bois. Une carte évoque un tarot mais la nef qui y est peinte ne fait pas partie des arcanes, l'énigme qu'elle représente en renforce d'autant plus l'élégance.
Une Vierge à l'Enfant ouvrante en bois polychromé tient une pomme dans sa main, évocation osée de l'Eve originelle. La statuette s'ouvre, deux volets révèlent un triptyque sculpté et peint : la Trinité entourée de l'humanité. Les bras de la vierge enlacent et protègent rois, reines, évêques et peuple délicatement peints. Le Moyen Âge est décidément plus moderne que l'on croit, il en sort une Sainte Barbe au visage de poupée japonaise, un verre peint où deux femmes portent des initiales L.G. (Laurent Gyrard, notaire secrétaire du roi), grandes lettres d'or en relief imbriquées comme des graffitis hip hop.
Un peigne de buis incrusté de corne, un petit grattoir au modeste personnage sculpté et nous voilà dans l'immédiate quotidienneté, la proximité d'un geste que nous faisons toujours. Le quotidien s'illustre par les arts de la table : un gobelet de verre à motifs de losanges, une cuiller luxueuse d'or et d'agates au long manche. Le bleu magnifique des émaux vénitiens, son contraste avec l'or des motifs, de petites croix dessinant un firmament étoilé pourraient faire oublier que ces ustensiles ont été au centre de liens sociaux, familiaux.
Que penser d'un recueil de sermons muni de sa chaîne antivol ? il nous rappelle non seulement la préciosité du livre mais également que l'humanité a toujours les mêmes vices. Moins précieux, une dînette de plomb et d'étain avec son minuscule gril sur lequel cuisent deux poissons nous replonge en enfance. Cette enfance est universelle, hors du temps. Ce sont des choses humbles comme cela qui ont le plus grand pouvoir de nous transporter.
Sylvain Silleran
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extrait du communiqué de presse :
commissariat : Séverine Lepape, directrice du musée de Cluny et par tous les conservateurs du musée de Cluny
Comment vivaient les femmes et les hommes au Moyen Âge ? À travers une sélection d’oeuvres provenant des collections du musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, venez découvrir, du 4 mars au 28 juin 2020, les « Regards sur la vie quotidienne » que les conservateurs portent sur ces pièces de la vie de tous les jours. Ces objets sont exposés en regard de la présentation « Trésors » qui met à l’honneur des oeuvres de grand prestige et de subtil raffinement.
Du Moyen Âge à nos jours, les besoins quotidiens n’ont guère changé ! Manger, se loger, prendre soin de son corps, telles sont les préoccupations quotidiennes, mais aussi nourrir son esprit et sa spiritualité, mesurer le temps, les distances ou les quantités… À rebours des idées reçues sur un Moyen Âge sale et inculte, cette présentation montre toute l’attention portée à la toilette comme à la parure ; ou à l’apprentissage, sous la forme de jeux d’imitation ou d’ouvrages savants.
Pour autant, le visiteur pourra se laisser surprendre à chercher en vain certains des objets de son propre quotidien. Pas de fourchettes avant le 16e siècle, non plus que de tables pour les repas. Ils nous parlent aussi d’une société médiévale en mouvement : pas d’armoires de rangement mais des coffres plus mobiles qui répondent à l’itinérance de la vie de cour. Monde d’échanges, le Moyen Âge développe également des instruments de mesure du temps ou des monnaies. Ces outils évoquent une société fragmentée où unités de poids, de distance et de compte varient, parfois d’une ville à l’autre.
Témoins d’une nouvelle sensibilité religieuse qui allie vie active et contemplation, les petits objets de dévotion privée qui se développent à la fin du Moyen Âge sont l’occasion de montrer un rapport au divin plus intime, qui laisse déjà entrevoir les mutations de la Renaissance.
Là où « Trésors », autre présentation temporaire des collections du musée de Cluny, s’attache aux pièces les plus précieuses de la vie de cour ou de l’Église, « Regards sur la vie quotidienne » donne à voir des objets de tous les jours. Les cuillers en étain ou les gobelets qui passaient de main en main au cours du repas constituent des témoignages de la vie quotidienne dont la préciosité varie en fonction de la catégorie sociale à laquelle ils étaient destinés. La vaisselle hispano-mauresque, dont l’apparence imite les précieuses pièces d’orfèvrerie, est placée, en évidence, sur des dressoirs qui témoignent du rang du foyer.
La présentation « Regards sur la vie quotidienne » rassemble près de 200 objets du musée de Cluny, qui pour certains sortent exceptionnellement des réserves. Elle propose un nouvel éclairage sur ces collections, avant la fermeture totale pour travaux du musée le lundi 29 juin 2020 et jusqu’en mai 2021.
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