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“Modernisme ou modernité” Les photographes du cercle de Gustave Le Gray (1850-1860)   
au Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

du 3 octobre 2012 au 6 janvier 2013



http://www.petitpalais.paris.fr

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, présentation de l'exposition par les commissaires Anne de Mondenard et Marc Pagneux, le 2 octobre 2012.

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légendes de gauche à droite
1/  Charles Nègre, Le sculpteur Auguste Préault devant le 21 quai Bourbon, Paris, vers 1856. Epreuve sur papier albuminé d’après un négatif verre, 17,3 x 12,3 cm© Collection particulière.
2/  Cercle de la famille Bocher, vers 1860. Epreuve sur papier salé d’après un négatif verre, 9,3 x 21,8 cm. © Collection particulière.
3/  Adrien Tournachon, Taureau de Marienhof, Agé de 30 mois, présenté par M. Senekowitz à Saint Georgen, près Unmark (Autriche), 1856. Epreuve sur papier salé avec couche protectrice à la gélatine d’après un négatif verre, 29,5 x 22 cm. © Bâle, collection Ruth et Peter Herzog.

extrait du communiqué de presse :


Commissaires de l’exposition : Anne de Mondenard et Marc Pagneux
« Exposition organisée par la Maison Européenne de la Photographie, à Paris, dans le cadre du Mois de la Photo avec la collaboration du Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris et Paris Musées »

Gustave Le Gray (1820-1884), le plus important photographe du Second Empire, a initié à la photographie une génération d’amateurs provenant de tous les milieux sociaux. Autour du maître, ces derniers ont inventé une esthétique en rupture avec l'enseignement des Beaux-Arts. Ebauchant, avec plus de 70 ans d’avance, le mouvement moderniste de l'entre-deux-guerres, ces photographes construisent des images qui surprennent par leur audace et leur perfection.

La liste des élèves, aussi longue qu’hétéroclite, s’est étoffée depuis l’importante rétrospective, que la Bibliothèque nationale de France a consacrée à Le Gray, en 2002. De nouvelles oeuvres ont surgi. Aux noms de Le Secq, Nègre, Greene, Salzmann, il faut désormais ajouter ceux de Bérenger, Delaunay, Du Manoir, et bien d’autres.

L’exposition s’ouvre par une sélection d’oeuvres du maître et l’évocation de son atelier parisien, situé sur le chemin de ronde de la barrière de Clichy. Une première partie explore les spécificités de l'Ecole et cerne les pratiques communes au groupe : traitement du sujet, partis-pris dans la composition, obsession de la géométrie, soin du tirage. Une seconde partie met en valeur cinq auteurs majeurs, connus ou méconnus : Charles Nègre, Henri Le Secq, John B. Greene, Alphonse Delaunay et Adrien Tournachon. L’oeuvre de ce dernier est une révélation puisque plusieurs de ses portraits, très fameux pour certains, étaient jusqu’ici attribués à son frère, Félix Nadar.

A travers la présentation de 160 épreuves, en grande partie inédites, l’exposition propose une nouvelle lecture des débuts de la photographie.

Parcours de l’exposition – extrait -

Gustave Le Gray (1820-1884)
Vouloir montrer l'oeuvre de Gustave Le Gray en huit pièces relève, sinon de la folie, du moins de l'inconscience. Un artiste qui s'avère un maître de la photographie dans les domaines de l'architecture, du paysage, de l'événement, du nu et du portrait ne peut être réduit à une si mince représentation. Il a donc fallu choisir les emblèmes de son blason.
De ses premières recherches formelles dans la forêt de Fontainebleau, en 1849, à la certitude de son talent exprimé en Égypte, à la fin des années 1860, l'éventail proposé couvre malgré tout le spectre de son ambition esthétique.
La commande publique, loin de brider ses audaces, lui permet d'affirmer sa créativité dans la large diffusion des images du camp de Châlons. A l'effigie impériale toute de sensibilité et de retenue répondent les expériences formelles réalisées dans la paix des sous-bois de la région parisienne comme dans le feu de la bataille de Palerme. Quant à la seule marine verticale que nous lui connaissons, elle semble préfigurer les cadrages japonisants de l'école impressionniste.
Le choix aurait pu être différent, tant en cette décennie prodigieuse Le Gray a donné de chefs-d'œuvre célébrés par ses contemporains et par la postérité.

La barrière de Clichy
Dans une grande maison isolée de Paris, regardant le mur des fermiers généraux et la barrière de Clichy, Le Gray a installé son atelier de photographie, en 1849. Il y donne des cours qui sont rétribués. Le « photographiste », comme il se désigne, reçoit des amateurs avides de mieux maîtriser la nouvelle technique du négatif papier. Jusqu’à la fin des années 1850, une cinquantaine au moins d’hommes et de femmes aux profils divers (artistes, peintres, archéologues, banquiers, aristocrates et voyageurs) aux opinions politiques divergentes, se pressent au 7, chemin de ronde de la barrière de Clichy. Ils forment l’Ecole de Le Gray.
Le maître dispense un enseignement technique, partage ses recettes les plus performantes avec le négatif sur papier puis sur verre. Les élèves sont invités à s’exercer au laboratoire et se noircissent à l’occasion les mains de nitrate d’argent. La maison sert de terrain d’expérimentation pour les prises de vues, comme le montrent les épreuves rassemblées ici. Depuis la rue ou les étages de la maison, du rez-de-chaussée à la terrasse, ils dirigent leur camera sur des motifs aussi banals qu’un tas de pavés ou des assemblages de planches sur un terrain vague.

La question du sujet
L’enseignement dispensé par Le Gray a laissé des traces chez tous ses élèves. Ils ont acquis la certitude qu’un sujet noble placé au centre de l’image ne fait pas à lui seul une bonne photographie. D’où un goût pour des motifs à priori insignifiants (un potager misérable, un escalier délabré) et pour l’élargissement du cadre à un second sujet.
Le Gray inaugure cette approche, en 1851, avec son ami Mestral, en plaçant une grille métallique devant un portail d’architecture romane. D’autres élèves cultivent cette même ambiguïté. du sujet en laissant un massif végétal et une ombre masquer une architecture ou en accumulant les motifs sans hiérarchie dans l’image.
Ce déplacement du sujet et du sens a pour corollaire la mise en valeur des lignes de construction de l’image, des matières photographiées ou encore des oppositions entre ombre et lumière. Nous pouvons ainsi ne retenir que le flottement horizontal d’une étendue d’herbes, la ligne serpentine de danseuses, la texture d’une chemise blanche rendue dans ses moindres détails ou encore les taches blanches des tabliers portées par des religieuses dans l’ombre d’une lingerie peu éclairée.

Le Photographique
Après la décennie qui suit l'annonce de la découverte de la photographie, se met en place un langage propre au nouveau médium en rupture totale avec les solutions proposées par l'usage du daguerréotype. L'immense majorité des tireurs de portraits des boulevards n'a qu'un credo, coller au plus près de la tradition picturale afin de satisfaire une demande universelle. L'avènement du processus négatif/positif autorise soudainement toutes les expérimentations. Quelques critiques attentifs semblent reconnaître, dès cette époque, un genre particulier au groupe des opérateurs passés chez Le Gray.
Avec le recul historique nous pouvons facilement en isoler certaines lignes primordiales : un goût pour la construction géométrique, l'abandon d'une symétrie convenue, l'utilisation à contre-temps de la vue horizontale et verticale, une prédilection pour le fragment qui peut toucher aux lisières de l'abstraction. Le soin obsessionnel apporté aux tirages par les auteurs des campagnes les plus reculées combiné aux choix de motifs les plus surprenants, donnent des épreuves définitivement étrangères au monde académique et ouvrent des perspectives nouvelles aux usagers de l'art.

Regarder/Voir
Rien n'est innocent dans la pratique photographique de ce groupe hétéroclite qu'agrège l'enseignement d'un maître. Sous le soleil d'Orient comme dans l'environnement le plus proche, chacun a compris, au contact de Le Gray, que choisir, élire un motif ou un point de vue est le fondement d'une pratique artistique. Les moyens techniques et les préceptes esthétiques sont des outils au service du regard. Il ne s'agit pas de chercher quelque secret caché dans le rectangle magique, mais de s'assurer qu'on a mis autant de soin dans la lecture de l'oeuvre, que l'artiste en a consacré à sa réalisation. Nul hasard ne participe à la venue de l'image, chaque cadrage, chaque construction, chaque lumière servent une volonté particulière et déterminée ; les accidents du processus, mêmes, peuvent servir à la définition du propos. L'exercice exigeant que demandent ces artefacts du début du médium, satisfait le spectateur, car la compréhension intime des partis-pris du photographe peut élever le plaisir à un niveau insoupçonné. Dans notre ère de prolifération de l'image sans qualité, la volonté de concentration et l'analyse de quelques pièces décidées, sera salutaire.

Précurseurs de la série
Une caractéristique commune aux photographes du cercle de Le Gray est leur façon de multiplier les images autour d’un même sujet. Ils ne cherchent pas à en faire le tour de façon raisonnée mais transforment leur découverte en une expérience sensible et formelle. Le sujet devient prétexte à l’élaboration d’une série, un concept qui deviendra central dans la photographie moderniste.
Un premier embryon de série est né dans l’atelier du chemin de ronde, où les élèves multiplient les variations à partir d’un seul motif. En 1851, lors de leur découverte de la France, Le Gray et Mestral s’attardent devant un monument en variant les lumières ou s’en approchent en variant les cadrages. Pécarrère s’offre une progression similaire dans la palmeraie d’Elche, en Espagne. Delessert, dans son jardin de Passy, accumule des fragments du parc familial. Nègre à Grasse, sa ville natale, épuise dans la forme du tondo tous les emboitements des maisons étagées. Colliau multiplie lui aussi les prises de vue même s’il réduit son champ d’exploration à un coin de jardin. Parce qu’il montre dans son approche de la forêt de Fontainebleau une démarche équivalente, nous proposons de rattacher au cercle de Le Gray un auteur anonyme, « L’Amateur des Herzog ».

Le tirage
Le soin apporté à la qualité du tirage est une qualité de l’Ecole. Le Gray a concentré son attention sur cet aboutissement du processus de prise de vue. Privilégiant la perfection à l’économie, ne lésinant ni sur les feuilles de papier si sur les produits, il s’est fait une réputation de gâcheur.
Maîtrise des valeurs, grandes dimensions et stabilité des épreuves furent ses maîtres mots. Les premiers essais aux tons bistres ont rapidement cédé la place à une gamme étendue de teintes : « depuis la sépia violette jusqu’aux jaunes, en passant par les noirs et les sépias colorées ». Ses élèves témoignent d’une même maîtrise dans l’art du tirage. Des épreuves de couleurs variées sont rassemblées autour d’un tirage du maître d’un bleu profond. Tous montrent un goût prononcé pour le traitement des matières, le rendu des textures, que le négatif soit en papier ou sur verre. Les marges noires sont une autre signature du cercle. Ces bandes qui dépassent du châssis servent à contrôler l’avancement du tirage. Elles sont ensuite coupées au moment du montage. Les photographes du cercle conservent et échangent ces épreuves margées que l’on peut qualifier d’épreuves d’artistes et qui restituent l’image dans son cadrage originel.