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“Australie - Tjukurrtjanu” aux sources de la peinture aborigène    
au musée du quai Branly, Paris

du 9 octobre 2012 au 20 janvier 2013



http://www.quaibranly.fr

 

 

© Anne-Frédérique Fer, le 23 octobre 2012.

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légendes de gauche à droite
1/  Shorty Lungkata Tjungurrayi, (Pintupi, vers 1920-1987), Sans titre, 1972, Peinture acrylique sur panneau, 67,7 x 46 cm, © artists and their estates 2011, licensed by Aboriginal Artists Agency Limited and Papunya Tula Artists, National Gallery of Victoria, Melbourne. Acheté par The Art Foundation of Victoria avec l'aide de ICI Australia Ltd, Fellow, 1988 (O.10-1988), Photographe: Christian Markel.
2/  Anonyme, Collier, (Necklace), 1902. Matériaux et techniques: fur string, bandicoot tail tips, 29.0 x 22.0 x 5.0 cm, © Museum Victoria 2011 / Photographer Benjamin Healley, Museum Victoria, Melbourne Gift from Baldwin Spencer, 1902, Photographe: Benjamin Healley.
3/  Long Jack Phillipus Tjakamarra, (né vers 1932 à Luritja), Emu Dreaming, (Rêve d'émeu). 1972, Peinture acrylique sur panneau, 64,7 x 62,8 cm, Ethnie: Pintupi, © artists and their estates 2011, licensed by Aboriginal Artists Agency Limited and Papunya Tula Artists, National Gallery of Victoria, Melbourne- Achat de l'Admission Funds, 1987 (O.22_1987).

 

extrait du communiqué de presse :


Commissaires :
Judith Ryan, conservateur en chef, département d’art Aborigène, National Gallery of Victoria
Philip Batty, conservateur en chef, département d’Anthropologie, Museum Victoria

Coordinateur scientifique : Philippe Peltier, responsable des collections Océanie-Insulinde du musée du quai Branly

 

 

Entre 1971 et 1972, l’émergence d’une pratique picturale au centre de peuplement Aborigène de Papunya, en Australie centrale, donne naissance à l’un des courants artistiques majeurs du 20e siècle.
D’un point de vue purement graphique, les premières peintures de Papunya reproduisent les motifs éphémères créés jusqu’alors pendant les cérémonies. Cette puissante iconographie tout comme la philosophie du désert de l’Ouest sont issues du temps du rêve : tjukurrtjanu en langues Pintupi et Luritja.
La croyance dans le tjukurrpa (dreaming en anglais ou Temps du Rêve en français) est partagée par les nombreux peuples Aborigènes de l’Australie centrale et du désert de l’Ouest. Le tjukurrpa est au fondement même de leur être : c’est une force de vie active qui donne corps à leur identité spirituelle et sociale. Il repose sur un ensemble de récits complexes qui décrivent les actions et événements vécus par les ancêtres mythiques qui façonnèrent le territoire, les végétaux, les animaux et les êtres humains. L’ordre social qui régit aujourd’hui les règles de parenté, le langage, les cérémonies et lois rituelles des peuples du désert de l’Ouest en est issu.

 

Introduction de Judith Ryan et Philip Batty
L’exposition AUX SOURCES DE LA PEINTURE ABORIGENE, Australie – Tjukurrtjanu étudie un moment décisif de l’histoire de l’art, celui de l’émergence d’un art fécond et culturellement pertinent qui s’épanouit à Papunya en Australie centrale puis rayonna dans le monde. Les années 1971-1972 – époque de mutation pour l’Australie – virent en effet le langage visuel des déserts du Centre et de l’Ouest, qui ne s’exprimait jusque-là que de façon éphémère et dissimulée, se redéfinir sous la forme non conventionnelle mais durable de peintures sur panneaux d’aggloméré.
AUX SOURCES DE LA PEINTURE ABORIGENE se concentre sur près de 200 des premières peintures produites à Papunya entre 1971 et 1972. Ces œuvres marquantes, réalisées par 20 des quelque 25 artistes fondateurs de Papunya Tula, composent un corpus impressionnant, d’une portée considérable. Elles sont réunies pour la première fois depuis le commencement d’une histoire qui remonte à une quarantaine d’années. L’iconographie puissante et la philosophie qui imprègne ces peintures se rattachent au tjukurrtjanu (issu du temps du rêve) et révèlent le lien étroit qui les unit aux rites réservés aux hommes, aux sites sacrés de leurs territoires et au tjukurrpa. Si tout art est politique, aucun ne l’est plus que celui-là, qui possède une immense valeur symbolique en tant qu’expression d’une identité et d’un enracinement culturels et spirituels collectifs. Du point de vue de leur sens littéral, il n’existe pas d’équivalent dans les autres cultures à ces signifiants codés d’un savoir ancestral, musical et géographique.
Mais, et cet aspect est essentiel, ces oeuvres possèdent une valeur esthétique et une puissance visuelle qui ne peuvent échapper à l’observateur. L’utilisation du point dans ces œuvres n’est qu’une des illustrations symboliques de leur fonction duelle. Bien qu’agissant en toute autonomie esthétique comme un élément de pure poésie, l’usage du pointillé comme élément de remplissage ou de bordure prend son origine dans les cérémonies des hommes, les peintures corporelles, l’art sur parois et les boucliers peints ; on le retrouve aussi dans l’emploi des touffes de coton sauvage attachées aux peintures au sol ou aux ornements corporels.
En introduction historique aux peintures, l’exposition présente un ensemble de rares boucliers peints, pour la plupart collectés par ces pionniers que furent les anthropologues Baldwin Spencer et Francis Gillen. D’autres objets, d’une importance fondamentale et dont la signification historique est exceptionnelle, sont rassemblés dans cette première section – il s’agit de boucliers et de propulseurs recouverts d’ocre et gravés, de couteaux de pierre, de coiffes, de pendentifs en coquille de nacre, d’ornements corporels éphémères – qui soulignent le continuum entre passé, présent et futur, concept central à l’art et à la culture du désert de l’Ouest ainsi qu’au tjukurrpa. L’exposition AUX SOURCES DE LA PEINTURE ABORIGENE rend compte du dialogue sous-jacent qui unit l’iconographie et la dynamique spatiale des premières peintures et leurs antécédents dans les motifs « réservés » aux seules cérémonies.
Les premières peintures au propos ramassé et archétypique annoncent les toiles monumentales devenues par la suite emblématiques de l’art de Papunya Tula, elles sont fondatrices pour le récit historique du tjukurrtjanu. Après avoir négocié une transition délicate entre les cérémonies réservées aux hommes et la divulgation de leurs rites dans l’espace public du Stuart Art Centre d’Alice Springs en 1971, l’art du désert de l’Ouest s’est pleinement épanoui à partir du milieu des années 1970 et dans les années 1980. Des artistes fondateurs comme Johnny Warangkula Tjupurrula, Clifford Possum Tjapaltjarri, Tim Leura Tjapaltjarri, Uta Uta Tjangala et Mick Namarari Tjapaltjarri ont peint de grandes toiles épiques qui inventorient ingénieusement les vastes espaces des déserts australiens et les motifs peints au sol des rites des hommes. Le langage visuel des champs colorés de points parcourus d’un fin réseau de cercles et des chemins – qui cartographient conceptuellement de grandes étendues de terres et codent les noms de sites et les voies suivies par les ancêtres mythiques au cours de leurs voyages – est passé d’un statut marginal à celui de marqueur identitaire des copropriétaires des motifs dans la perception du public. L’art de « l’autre » est devenu le hubris de tous les Australiens.
Quarante ans après leur émergence à Papunya, les premières peintures ont connu une étonnante reconnaissance. Dans certains contextes occidentaux, on leur accorde le rôle d’objets « fétiches » et on considère qu’elles ont transformé la perception actuelle de l’art Aborigène et du paysage australien. Le lien étroit qu’elles entretiennent manifestement avec les rites sacrés des hommes – ce dont témoigne la représentation des objets et de tout l’attirail rituel d’accès réservé – a soulevé des difficultés pour leurs auteurs et leurs descendants. Tenant compte de la divergence des opinions quant au statut de ces peintures et des interrogations sur la pertinence de leur présentation aux regards non initiés, nous avons pris soin de consulter, avec tout le respect et le soin nécessaires, les producteurs des oeuvres et leurs descendants sur l’opportunité de leur exposition et de leur publication. En accord avec le protocole culturel Aborigène, nous avons pris la décision de présenter dans un espace séparé les peintures dont l’accrochage pourrait susciter la désapprobation de visiteurs Aborigènes et de ne pas les reproduire dans le catalogue.
La préparation d’AUX SOURCES DE LA PEINTURE ABORIGENE doit beaucoup à l’expertise des spécialistes venus de ces domaines complémentaires que sont l’anthropologie et l’histoire de l’art et s’est appuyée sur l’expérience de ceux qui ont longtemps travaillé avec les artistes à Papunya, Papunya Tula et ailleurs. Les essais et les photographies publiés ici confortent la volonté des organisateurs de l’exposition d’encourager le dialogue entre les anthropologues et les historiens de l’art. Les sources abondantes sur lesquelles les chercheurs se sont fondés proviennent de patrouilleurs, d’agents de coordination artistique, de collectionneurs et de philosophes, elles approfondissent la compréhension de ce moment de mutation dans l’histoire de l’art en Australie.