contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.


“Cibles” page 776  
au musée de la chasse et de la nature, Paris

du 21 décembre 2012 au 31 mars 2013



http://www.chassenature.org/

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, présentation de l'exposition par Claude d’Anthenaise et Annie Le Brun, le 20 décembre 2012.

776_Cibles_1776_Cibles_2776_Cibles_3

légendes de gauche à droite
1/  Le Temple de la paix, vers 1842. Musée de la Ville de Zagreb © D.R..
2/  Shirin Neshat, Careless, 1997. Série Women of Allah. Col. part. Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont.
3/  Cible d’honneur de Carl Casternauer, 1672. Tittmoning © D.R..


{m4vremote width="640" height="480"}http://www.francefineart.org/videos/video-musee-de-la-chasse/CIBLES-Musee-de-la-chasse480.m4v{/m4vremote}

Interview de Claude d'Anthenaise et Annie Le Brun,
par Pierre Normann Granier, à Paris le 20 décembre 2012, réalisation Emmanuel Goyet, © FranceFineArt.



extrait du communiqué de presse :

Commissariat :
Claude d’Anthenaise, conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée de la Chasse et de la Nature
Exposition présentée dans le cadre de Croatie, la voici Festival de la Croatie en France organisé conjointement par l’Institut français et le ministère de la Culture de Croatie.

Catalogue : Annie Le Brun, Gilbert Titeux, et Claude d’Anthenaise, éditions Gallimard, collection Le Promeneur.

Selon une tradition d’origine germanique remontant au XVIe siècle, les sociétés de tir organisent des concours dont l’enjeu consiste à tirer sur une cible minutieusement décorée de scènes de genre. Les tireurs étaient appelés à exercer leur habileté sur ces images représentant des animaux ou des personnages. Une fois criblées de balles, celles-ci avaient valeur de trophées pour les vainqueurs des compétitions.
L’oeuvre conçue pour être détruite témoigne d’un rapport à la pratique artistique dont une partie de la création contemporaine pourrait être le prolongement. C’est ce qu’explore l’exposition. Une cinquantaine de cibles anciennes, principalement conservées dans les musées de Croatie, sont ainsi confrontées à des oeuvres récentes utilisant le motif de la cible (Jasper Johns, Stephen Dean, Camilia Sposati…), marquées d’impacts (Lucio Fontana…) ou dont le processus créatif recourt au tir (Niki de Saint Phalle, William Burroughs, Anne Deleporte…).
Le thème de la cible permet également d’évoquer la notion du « regard prédateur » indissociable de la création artistique depuis les origines. L’art comme instrument de capture trouve notamment son expression dans la figuration du « corps-cible », qu’il s’agisse de l’image de l’animal (Mark Dion, Alain Séchas, Arno Kramer…) ou de celle de l’homme (Marija Ujevic-Galetovic , Shirin Neshat…). Ainsi les représentations du martyre de saint Sébastien (Pierre et Gilles…) viennent rappeler que ce personnage est patron des archers et protecteur des sociétés de tir.

« Je t’aime donc je te tue »
« C’était une sensation étonnante de tirer sur un tableau et de voir comment il se transformait lui-même en un nouveau tableau. C’était excitant et sexy, mais tragique en même temps parce que nous devenions, dans le même moment, les témoins d’une naissance et d’une mort ». Dès 1961, Niki de Saint Phalle s’engage dans une pratique violente de l’art avec son Portrait of my Lover où une cible tient lieu du visage attendu. L’artiste poursuit dans la même voie en tirant et invitant le public à tirer sur des toiles qui saignent comme des êtres humains. Elle prolonge en quelque sorte les expérimentations de Lucio Fontana : à force de perforations et de lacérations celui-ci voulait donner une nouvelle dimension spatiale au tableau en y ouvrant autant de brèches. Mais il n’avait pas d’intention sacrilège, contrairement aux happenings organisés par Niki de Saint Phalle et son compagnon, Jean Tinguely, dans leur atelier de l’impasse Ronsin. Et le vif émoi que ces expériences suscitent dans le public et chez les critiques d’art témoigne qu’elles sont perçues comme le nouveau « crime de l’impasse Ronsin » : un attentat contre l’art.
Pourtant, la pratique consistant à ritualiser la destruction d’une oeuvre d’art n’est pas nouvelle. Cette forme sublime d’offrande aux dieux trouve une expression profane et bourgeoise dans la pratique du tir sur cibles. Liée à l’essor des villes, elle se développe en Europe occidentale dès la fin du Moyen Âge. Pratiquement éteinte en France à la Révolution, elle se poursuit pourtant dans les territoires de culture germanique comme la Croatie jusqu’à une période plus récente.
Curieusement, l’image vouée à la mutilation est rarement repoussante. On ne tire pas sur la mort ou sur le diable mais bien sur ce que l’on désire. En effet, il s’agit moins d’éliminer que de saisir, d’anéantir que de posséder. Une des grandes fonctions de l’art depuis les origines consiste en « la capture par l’image ». De ce point de vue, la cible peinte pourrait en être le développement ultime dans la mesure où, à travers sa destruction, le tireur vise l’appropriation de la réalité que l’image représente.
Issues d’une longue tradition, les oeuvres que commandent les sociétés de tir relèvent de l’art populaire. Leur confrontation à des créations contemporaines explorant les mêmes thèmes permet d’en révéler le sens caché qui parfois a pu échapper aux auteurs. À travers le motif de la cible se pose la question du regard prédateur.
Claude d’Anthenaise