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“Liu Bolin” page 778  
à la Galerie Paris-Beijing, Paris

du 10 janvier au 9 mars 2013



http://www.parisbeijingphotogallery.com

 

 

© Anne-Frédérique Fer, le 11 janvier 2013.

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légendes de gauche à droite
1/  © Liu Bolin, Hide in the City, Three Goddesses, 2012.
2/  © Liu Bolin, Hide in the City, Info Port, 2012.
3/  © Liu Bolin, Hide in the City, Panda, 2012.

 

 


 

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Interview de Lui Bolin, interprète Annabelle Sablon,
par Anne-Frédérique Fer, à l'hôtel Castille - Paris, le 10 janvier 2013, durée 7'25". © FranceFineArt.

 


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© Anne-Frédérique Fer, Performance Liu Bolin / Rero à la galerie BackSlash, le 15 janvier 2013.

 


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Performance Liu Bolin et Rero à la galerie BackSlash,

le 15 janvier 2013, réalisation Anne-Frédérique Fer, © FranceFineArt.

 


 

extrait du communiqué de presse :

 
Après sa récente intervention très remarquée au Festival Images de Vevey ou ses photographies étaient imprimées sur les murs de la ville atteignant des formats gigantesques jusqu’à 600 mètres carrés, Liu Bolin se verra consacré une rétrospective dans le cadre du Festival Made In Asia de Toulouse en février prochain. Enfin, La galerie Paris-Beijing l’accueillera de nouveau en mars dans ses locaux Bruxellois à l’occasion d’une exposition d’envergure retraçant dix années de création de l’artiste, de ses premières sculptures à ses dernières installations monumentales.

 

 

Camouflages révélateurs. Liu Bolin et l’art de la performance mimétique
texte de Silvia Mattei, juillet 2012

Son nom est Liu Bolin, mais tout le monde l’appelle « l’homme-caméléon ». Cet artiste chinois de la nouvelle génération (il est né en 1973) réalise des performances étonnantes lors desquelles il parvient à se camoufler dans le décor qui l'entoure. Mobilisant un large éventail de disciplines artistiques, de la sculpture au body art, du happening à la photographie, Liu Bolin pose devant l'objectif durant des heures, aussi immobile qu'une statue. Grâce à la complicité d’une équipe de peintres et de photographes qu’il dirige, son corps finit par être englouti dans l'environnement. Aucun effet Photoshop, mais d'abord un body painting très soigné. Une étude méticuleuse de la perspective et de la prise de vue conditionne ensuite la qualité du camouflage. Après plusieurs prises, l’artiste donne son accord pour l’image finale, immortalisant sa présence évanescente.

Cela peut même devenir un jeu que de repérer « l’homme invisible » dans la photographie, et pourtant l’origine des performances mimétiques de Liu Bolin n'a rien de ludique. Le déclencheur fut la destruction de son atelier situé dans le Suojia Village International Arts Camp, un quartier de la banlieue de Pékin qui comptait une centaine d’artistes. Le 16 novembre 2005, dans le cadre de la restructuration de la capitale en vue des Jeux Olympiques, les autorités chinoises ont procédé à la démolition des bâtiments du village et à l’expulsion de ses habitants. En rend compte la série Hiding in the City, qui s’ouvre avec l’autoportrait de Liu Bolin immobile, recouvert de peinture, se confondant avec les ruines de son atelier en signe de protestation silencieuse. La réalisation est parfaite, l'illusion est troublante.

C’est dans le contexte d’une Chine en pleine mutation, connaissant un développement économique fulgurant et une urbanisation frénétique, avec toutes les conséquences que cela implique pour la société, que la production artistique de Liu Bolin prend sens. L’artiste appartient à la génération née sous Mao et devenue adulte dans les années quatre-vingt-dix, sur les cendres de la Révolution Culturelle. Originaire de la province de Shandong, Liu Bolin vit et travaille à Pékin depuis 1999. Il est diplômé de l’Académie centrale des Beaux Arts, où il s’est spécialisé dans la sculpture, en disciple de Sui Jianguo. Dans la capitale, Liu Bolin a également connu le milieu des communautés artistiques alternatives qui, sur le modèle de l’expérience du Beijing East Village (1993-1998), ont permis à nombreux artistes d’expérimenter l’art de la performance à l’abri de la censure et du conservatisme des institutions politiques et culturelles.

Pour sa première série de camouflages urbains, Liu Bolin a choisi des lieux de Pékin chargés de symboles, de messages et d’histoire : il a posé devant les murs où apparaissent des slogans de propagande politique, comme « New culture needs more » (Hiding in the City n. 03, 2005), au milieu de la place Tian’anmen sous le portrait gigantesque de Mao Tsé-Tung (Hiding in the City n. 08, 2006) et face au « Nid d’Oiseau », le nouveau stade national construit pour accueillir les Olympiades en 2008 (Hiding in the City n. 86, 2009). Disparition presque prémonitoire qui fait penser à celle de son architecte Ai Weiwei, arrêté en 2011 et détenu par les autorités pendant presque trois mois.

Ces dernières années, le projet Hiding in the City de Liu Bolin a évolué et ses recherches se sont déplacées de la République populaire de Chine vers l’Occident, abordant les questions sociales que pose la globalisation, comme le rapport entre la société civile et le pouvoir financier, l’écologie et l'exploitation des ressources, la tradition et l’innovation, la conservation et la destruction du passé. Dans les séries Hiding in Italy (2010), Hiding in Paris (2011) et Hiding in New York (2011), notre artiste se cache dans les décors les plus divers pour transmettre un message à chaque fois différent qui traduit son rapport au réel, rapport d’appartenance, de dénonciation, d’empathie ou de fuite.
Liu Bolin ne navigue pas debout au vent, il l'accompagne et s'en protège. Il a ainsi décrit sa poétique : « Chacun choisit sa propre voie et son mode de connexion vers le monde extérieur. J’ai décidé de me fondre dans l’environnement. Certains diront que je disparais dans le paysage ; je dirais pour ma part que c’est l’environnement qui s’empare de moi et je ne peux pas choisir d’être actif ou passif ».

On pourrait penser à une sorte de profession de foi épicurienne, mais les images de la présence estompée de Liu Bolin dans un paysage toujours chargé de symboles et de messages, ne renvoient en rien à la sérénité du « pour vivre heureux, vivons cachés ». Les oeuvres de Liu Bolin possèdent une dimension anthropologique plus sombre, en cela qu'elles reproduisent une stratégie très répandue dans le monde animal, où la capacité de se camoufler est un facteur déterminant d'évolution et de survie.

Ses performances témoignent de la capacité qu'a l'individu de s’adapter aux changements de son écosystème et réaffirment la persistance de l'humain par-delà les mutations sociales, politiques, économiques, urbanistiques ou écologiques. Mais dans la société des hommes, ou règnent des artifices culturels et sociaux très complexes, le camouflage devient aussi une paradoxale stratégie de visibilité. En mettant en scène sa propre absence, Liu Bolin peut s’exprimer à sa guise tout en restant protégé par son oeuvre.


Les photographies-performances de Liu Bolin échappent aussi aux catégories esthétiques occidentales qui reprennent souvent à Platon et à Aristote le concept de mimesis et la figure du démiurge pour définir l’essence de l’art. En relisant le statement lapidaire de notre artiste, qui n’est jamais très prolixe, nous comprenons vite qu’il ne conçoit pas du tout les choses ainsi : c'est bien, comme il l'affirme, l’environnement qui s’empare de lui, et non pas lui qui décide d’imiter la nature et la vie.

Liu Bolin ne manifeste que sa propre manière de se rapporter au monde et de participer à son changement permanent. L’artiste révèlerait ce qui est déjà là, sans créer de formes inédites ou de simulacres, mais donnant simplement à voir la réalité sous un jour nouveau. Comme l'écrivait Adorno dans la Théorie esthétique, les œuvres d’art réalisent ce que la nature voudrait en vain : « elles ouvrent les yeux ».