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“Loïc Raguénès” page 815
au 40mcube, Production et diffusion d'art contemporain, Rennes

du 16 février au 27 avril 2013



www.40mcube.org

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Légendes de gauche à droite :
1/  Loïc Raguénès, Knock, Knock, Knockin’ On Heaven’s Door, 2012, gouache, carton, 270 x 390 cm. Courtesy CLEARING.
2/  Loïc Raguénès, Paul Sérusier, détail, 2012.
3/  Loïc Raguénès, Poissons Jaunes, 2004, peinture murale. Vue de l’exposition à la Salle de Bains, Lyon, 2004. Courtesy CLEARING.


extrait du communiqué de presse

 

40mcube présente du 16 février au 27 avril 2013 une exposition personnelle de Loïc Raguénès. L’artiste présente pour l’occasion de nouvelles oeuvres et une intervention sur l’espace d’exposition sur lequel il applique le même principe de trame que l’on retrouve dans ses dessins.

 

Les textes critiques sur le travail de Loïc Raguénès abordent son oeuvre de manière détournée, en parlant de sujets aussi variés que la cuisine ou la Bretagne. Peu d’éléments sur ses fondements, ses choix et ce qu’il produit, mais des métaphores. Loïc Raguénès réalise un traitement systématique d’images – de films, de chefs d’œuvre de l’histoire de l’art, de scènes quotidiennes partielles ou entières – qu’il sélectionne dans des livres, des journaux ou sur Internet. Il les reproduit en peinture ou au crayon de couleur par le biais d’une trame rappelant à la fois le pointillisme, la grille moderniste, Gerhard Richter et le pixel informatique. Ce traitement par omission, réalisé de manière artisanale, donne une vision parcellaire qui permet cependant une reconstitution de l’image par l’oeil. Cette trame monochrome, d’une couleur savamment choisie, constitue un filtre et établit une distance entre l’image initiale et l’observateur. Elle nivelle les sources pourtant diverses : une nature morte de Cézanne comme une photographie documentaire d’un clochard allongé au sol cohabitent sur le même mur.
Chacune des expositions de Loïc Raguénès propose une nouvelle configuration de ses oeuvres qui adoptent des dimensions allant de petits formats à des papiers peints ou des peintures murales. Chaque accrochage revêt un caractère évident malgré l’incongruité des rapprochements d’images qu’il crée, laissant le soin à chacun d’établir une éventuelle narration. L’exposition à 40mcube, qui regroupe de nouvelles peintures et une intervention sur l’espace d’exposition, peut être visitée comme une séance de natation synchronisée, car « avec une bonne prise de conscience des divers segments du corps, votre geste sera plus précis dans l’eau ».

Pittoresque
Loïc Raguénès reproduit des images. Généralement au crayon de couleur – une seule couleur par oeuvre – point par point, à la manière de la trame fruste qu’on utilise – ou qu’on utilisait avant les pixels – dans les procédés bon marché de reproduction mécanique.
Aujourd’hui, dans la surenchère des images, le pittoresque est partout, banal jusqu’à l’invisibilité. Le choix du sujet est donc indifférent. (Mais déjà depuis des décennies, des artistes exemplaires comme Sturtevant ou comme André Raffray ont fait un sort à son originalité.)
Tous les registres se valent. Il ne s’agit même plus, comme le formulait Arthur Danto à l’époque du pop art, de transfigurer le banal, mais de ramener l’art du peintre, celui du dessinateur, à celui de l‘artisan méthodique, appliqué, d’apporter un grand soin au cadrage, à la réalisation, en écartant d’office toute mythification, voire toute virtuosité. Toute visée esthétique ou toute charge polémique sont déniées à l’imagerie. Sont laissées de côté l’imagination, l’invention. S’il le faut, l’exécution peut en être déléguée à de petites mains, selon la pratique du travail à façon.
Les modes du dessin – ou de la peinture – sont donc désinvestis de toute dimension héroïque. C’est une activité blanche, comme on a pu parler un temps, dans la littérature, d’écriture blanche. Il suffit de l’application d’un protocole, d’une exécution froide.
Si l’oeuvre s’organise à partir du contenu anecdotique de l’image, le monochrome et le traitement par points la vident de son impact pour ne garder qu’une structure, pour ne garder que la trame qui agit comme trace, comme un substrat affaibli.
Traité par cases, le motif est constitué de blancs autant que de points colorés. Pour parodier Art & Language, on pourrait définir ainsi l’oeuvre qui en résulte : 50% de vide, 50% de monochromie. L’abrasion de l’image est accentuée par un choix chromatique faible. Sa lecture est rendue problématique par son mode opératoire, mais aussi par le mode de perception qu’elle implique : une distance d’observation à régler par le spectateur, selon le format de l’oeuvre, (dessin sur papier, grand châssis ou mural), à partir de laquelle le contenu apparaît à l’oeil ou disparaît.
Ce contenu se distingue par sa banalité narrative ou anecdotique : portrait du héros politique, portrait de son chien, baigneuses… images empruntées à des catalogues, des revues. Le simple fait de les reproduire, sur un mode mineur qui peut aller jusqu’à la photocopie la plus basique, suffit tout à coup à sauter par dessus toutes les fausses bonnes raisons canoniques de fonder, de valoriser l’oeuvre d’art, pour affirmer simplement une position d’artiste.
Alors il nous est de nouveau possible de poser un regard sur l’image, de prendre en compte son usure, son histoire, ses modes passés de reproduction et de diffusion, de considérer le caractère désuet de son sujet dont l’importance temporelle s’est perdue et dont la réitération pauvre permet de capter une certaine rémanence.
Loïc Raguénès pose sur le monde qui l’entoure un regard qui dénote une conscience aiguë de l’inanité et une lucidité délivrée d’affect qui va bien au-delà du pessimisme.
Ce qu’il construit par sa pratique de la peinture, du dessin, de l’image photocopiée ou sérigraphiée relève de la machination. C’est un engin – au sens premier du terme – un leurre, parce qu’il déroute le regard, parce qu’il jette le trouble sur les moyens de production et sur la nature de ce qui a été produit, parce qu’il s’emploie à rendre littéral le vacillement du sujet, parce qu’il choisit avec soin des images de peu d’importance que sa posture d’artiste nous oblige à déchiffrer et à considérer.