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“Balzac, vu d’ailleurs” un regard taiwanais sur La Comédie humaine
à la Maison de Balzac, Paris

du 1er mars au 26 mai 2013



www.balzac.paris.fr

 

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 28 février 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  © Wei-Cheng Tang, Confusion.
2/  © Lin-Ya Huang, Trait de sang.
3/  © I-Shan Yu, L’évocation de la vie.



Texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt


Il y a des rencontres surprenantes, des rencontres pétillantes et rafraîchissantes, telles qu'entre l'occident et l'orient, le XIXème siècle et le XXIème. Quand les étudiants de l'Université Nationale des Arts de Taiwan découvrent l'œuvre de Balzac, ils se l'approprient et nous rappellent l'universalité et la modernité des thèmes de La Comédie Humaine.

La thématique de l'avidité et de l'avarice, les profondes transformations du système économique du XIXème siècle vers le capitalisme trouvent un écho chez ces jeunes artistes qui y voient un reflet de la société contemporaine. Ainsi Kuei-Pi Li présente dans La vingt-cinquième heure de petits décors dans des boîtes, chaque décor étant réalisé avec des objets achetés pour l'équivalent d'une heure de salaire minimum. Réflexion sur l'essor économique de l'Asie et la place de l'homme au milieu des bouleversements sociaux qui en résultent.

Kuei-Mei Chen en une vidéo très courte, Beau moment, évoque le moment précis du roman où Eugénie Grandet ose se confronter à l'avarice de son père. Une courte boucle qui se répète à l'infini. Un regard fait face au spectateur sur fond de tintement de pièces de monnaie et, avec la pureté symbolique de fleurs, nous interroge sur notre intégrité face au matérialisme. De même, Le désir fait fondre la banquise/ Les rivages de Taiwan sont en train de disparaître de Itint Cho font de la peau de chagrin une histoire collective, à l'échelle de l'humanité tout entière. Ici, c'est nous tous en tant que société et civilisation qui assouvissons notre désir de jouissance et de consommation tandis que la banquise, peau de chagrin planétaire, fond peu à peu, la montée des eaux des océans menaçant la beauté des rivages de Taiwan.

D'autres œuvres évoquent la solitude de l'artiste, la crainte que le flot de créativité se tarisse comme les quatre petits tableaux à l'acrylique de Chao-Yang Lee. L'artiste y apparaît désespérément seul, livré aux angoisses de sa condition. Shing-Ching Chang explore la solitude du Père Goriot dans Self-gap Vide intérieur. C'est sous les traits d'une créature monstrueuse issue d'un manga qu'il s'incarne, difforme et nu. Dessiné d'un fin trait noir sur trois toiles blanches et vides, un trou béant au milieu du corps matérialise le dénuement autant affectif que financier dans lequel il finit ses jours, et le fil qui le relie à ses filles est si ténu qu'il semble prêt à se rompre.

L'énergie de ces jeunes artistes est communicative. Malgré la gravité des thèmes traités, la beauté émerge d'une vision positive du monde. Les arbres fleurissent, des flammes dansantes chassent l'obscurité, les couleurs réchauffent. Si la peinture que fait Balzac du monde est sombre, celle des créateurs taiwanais, tout en étant d'une étonnante lucidité, est pleine d'espoir.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse

 

Commissariat :
Yves Gagneux, conservateur général, chargé de la Maison de Balzac et Frédéric Siard, professeur de création industrielle à l'Ecole nationale supérieure des arts appliqués, chargé de cours en anthropologie de l'art à l'Université Paris-Sorbonne

 

Avec Yi-jums Chen, Yi-Cheng Wu, Chi-ying Chou, Chao-Yang Lee, Itint Cho, Kuei-Mei Chen, Ming-Tai Mao, Wei-Cheng Tang, Shing-ching Chang, I-Shan Yu, Chia-Wen Lin, Kuei-Pi Li et Lin-Ya Huang.

Carrefour de la culture chinoise, marquée par des traditions aborigènes et la forte influence du Japon, Taiwan est l’un des pays les plus dynamiques de l’Asie du Sud-Est. C’est dans ce contexte culturel et social très ouvert, qu’à l’initiative de la Maison de Balzac et de l’Université nationale des Arts de Taiwan, de jeunes artistes se sont immergés avec enthousiasme dans l’oeuvre de Balzac durant plus d’une année, avec un objectif : restituer en peinture, dessin, vidéo ou installation, une oeuvre de l’écrivain les ayant particulièrement marqués.
L’exposition présente à la fois leurs travaux, les textes de Balzac qui les ont inspirés, et quelques indications sur la démarche artistique. Et le visage de l’écrivain en ressort complètement transformé.
Les jeunes artistes ont en effet trouvé chez Balzac l’expression de leurs préoccupations quotidiennes, et leurs oeuvres reflètent donc leurs interrogations. Ce sont les obstacles que rencontre l’artiste dans un monde peu concerné par l’art ; les injustices sociales ; les ravages de l’alcool ou de la drogue ; les conséquences des passions humaines ; la difficulté pour une âme sensible à s’épanouir dans un monde dirigé par l’argent : tous ces thèmes largement traités par Balzac donnent lieu à des créations très originales, dans lesquelles la réflexion se mêle alternativement d’humour, de sensibilité et d’optimisme. La plupart des oeuvres renvoient à la culture et à la vie quotidienne dans un pays particulièrement attachant, avec ses difficultés et ses splendeurs. Aussi l’exposition donne-t-elle autant à découvrir Taiwan que Balzac.
L’exotisme des travaux atteste enfin l’universalité de Balzac, en qui ces jeunes gens n’ont pas vu un romancier parisien du 19ème siècle, mais un écrivain dont l’oeuvre n’a pas vieilli et qu’ils se sont facilement appropriés. Ils ont très vite compris que La Comédie humaine offrait avant tout une étude de l’homme dans ses rapports aux autres, et constituait un extraordinaire outil d’analyse de la vie sociale, adaptable en tout lieux et en tout temps. Et ils ont donc restitué cette permanence de l’oeuvre : la peau de chagrin est associée à la fonte de la banquise, l’une comme l’autre diminuant selon la soif de jouissance des hommes ; l’avarice du père Grandet suscite une réflexion sur le salaire minimum ; la triste destinée d’Eugénie Grandet et la fin tragique du père Goriot nourrissent les interrogations fondamentales sur la solitude, la déchéance et la mort.
C’est une autre sensibilité, des repères différents, une lecture inattendue qui sont ainsi proposés aux visiteurs. Sont-ce de jeunes Taïwanais qui permettront au public parisien de voir sous un nouveau jour l’écrivain français le plus lu au monde ? Voilà la gageure de cette exposition.