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“Trésors de la Chine ancienne” Bronzes rituels de la collection Meiyintang
au Musée Guimet, Paris

du 13 mars au 10 juin 2013



http://www.guimet.fr

 

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 12 mars 2013.

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légendes de gauche à droite
1/  Paire de pushou. Anneaux tenus par un masque zoomorphe. Bronze - H. 31,2 cm . Dynastie des Zhou orientaux. Période des Printemps et Automnes, VIIIe-Ve s. av. notre ère. Crédit photographique : Vincent Girier-Dufournier.
2/  Paire de vases pour les offrandes de nourriture dui. Couvercle pouvant former une coupe. Bronze - 31,4 cm. Dynastie des Zhou occidentaux. Période des Royaumes combattants, Ve s. av. notre ère. Crédit photographique : Vincent Girier-Dufournier.
3/  Vase zoomorphe pour boissons fermentées gong. Bronze - H. 16,5 cm. Dynastie Shang. Période d’Anyang - XIIe s. av. notre ère. Crédit photographique : Vincent Girier-Dufournier.

 


Texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt

 

Les bronzes rituels de la collection Meiyintang couvrent deux mille ans de l'histoire de la Chine. Servant d'abord aux rites religieux au service de l'empereur, lien entre le ciel et la terre, ces objets vont voir leur variété et leurs usages se développer au fil du temps pour exprimer les fastes de la cour. Si l'histoire de la Chine ancienne est le fil conducteur de l'exposition, le choix scénographique est de présenter ces bronzes comme des bijoux afin de souligner leur beauté intemporelle. La lumière fait éclater la large palette des verts, ocres, oranges, bleus du bronze oxydé et la surface vibre, passant d'un aspect lisse à des textures rugueuses.

Les pièces les plus anciennes ont des formes simples, leurs éléments sont assemblés (corps, bec, pieds) et sont ornées d'une ou deux frises. Elles posent, plus de mille ans avant notre ère, les bases d'un style : proportions des courbes, trois pieds, bec verseur... style qui va s'enrichir avec la maitrise progressive de la métallurgie par les artisans chinois.

Les époques suivantes voient un perfectionnement de l'artisanat, les vases sont formés d'un seul tenant et sont entièrement recouverts de motifs. D'un aspect abstrait au premier regard, ce sont des évocations stylisées d'animaux, serpents, tigres ou oiseaux. L'ornementation atteint un grand raffinement, les vides dans les motifs sont remplis d'un deuxième niveau de décoration aux détails d'une grande finesse.

Le dessin devient volume, les anses ou le bec verseur reproduisant des têtes animales, voire le vase lui-même prenant une forme de taureau ou d'oiseau. Au premier millénaire de notre ère, le bronze s'est enrichi de pierres précieuses et d'argent. Les objets présentés sont affranchis des rituels religieux. Masques, clés d'instruments de musique, poids, lampes, coffrets ont gardé cette richesse dans leur dessin, ce lien graphique avec la cosmologie, mais sont des ornements de la vie à la cour des empereurs.

L'émotion que l'on éprouve devant ces vases et ces coupes vient de la rencontre entre une perfection dans le tracé des formes et une liberté dans l'ornementation. La rigueur est extrême dans la courbe du volume et ses proportions, dans la symétrie et la régularité mathématique des motifs. Galbes de pieds ou formes d'anneaux évoquent pattes de mammifères et ailes d'oiseaux, sans rien sacrifier à la précision stylistique du dessin. On éprouve un sentiment d'intemporalité dans la vision de ces œuvres si anciennes mais qui expriment avec plusieurs millénaires d'avance ce que nous appelons design aujourd'hui. Un design à vocation spirituelle, qui prend source dans les éléments et la nature pour s'adresser au ciel.

 

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Président du musée Guimet et commissaire général de l’exposition : Olivier de Bernon
Commissariat :
Huei-Chung Tsao, chargée d’études au musée Guimet
et Marie-Catherine Rey, Conservateur en chef section Chine du musée Guimet

 

Du 13 mars au 10 juin 2013, le musée Guimet présente plus d’une centaine de bronzes archaïques chinois, chef-d’oeuvres de la prestigieuse collection Meiyintang.
Réunie depuis plus de cinquante ans par un collectionneur passionné, exigeant, admirable connaisseur de l’Asie et des arts de la Chine en particulier, cette partie de la collection Meiyintang bien qu’elle fût connue pour avoir fait l’objet d’importantes publications, n’a cependant jamais été présentée au public. Elle le sera ainsi pour la première fois en France, au musée Guimet à travers le plus bel ensemble de bronzes archaïques chinois datant des deuxième et premier millénaires avant notre ère.
À l’inverse de ce qui se rencontre dans les autres civilisations du bronze, les bronzes archaïques chinois n’ont pas de vocation utilitaire. Leur fonction est, dès l’origine, propitiatoire ou magique. En Chine, dès le XIXe siècle avant notre ère, ces bronzes sont les instruments privilégiés des rites offerts aux mânes des ancêtres pour solliciter leur puissance, notamment sur le champ de bataille. Masquant les hésitations et la faiblesse d’une métallurgie qui cherche sa maîtrise, l’art du décor mais surtout l’audace des formes atteignent immédiatement à la perfection. En témoigne l’extraordinaire élégance, le geste inspiré du grand jue, ou coupe à alcool, témoignage exceptionnel de la civilisation Erlitou (XIXe-XVIe siècles avant notre ère) par lequel commence l’exposition.
Sous les Shang (XVIe-XIe siècles avant notre ère) le décor s’enrichit de rinceaux et de masques taotie d’une fascinante abstraction. Au cours des siècles suivants, sous les règnes des Zhou, les formes animalières fantasmatiques de plus en plus reconnaissables structurent le décor tandis que la maîtrise désormais acquise des techniques de fonte permet l’évolution et la complexification des modèles : la puissance et la force subjuguent la séduction. Les rinceaux deviennent des pointes, les masques portent des cornes.
Pendant la période des Royaumes combattants (Ve-IIIe siècles avant notre ère), la fonction rituelle des objets de bronze fait place à l’ostentation : le décor s’enrichit d’incrustations et les formes deviennent précieuses jusqu’à l’exubérance.

 

 

L’exposition est présentée en 9 séquences.

1. Une tradition de collection
Une antique légende chinoise rapporte qu’au temps du souverain mythique Yu le Grand, neuf bergers envoient du métal de leur province. Le vertueux souverain fait alors fondre neuf tripodes, qu’il est seul à même de posséder. Symbole de chacune des neuf provinces du royaume, chaque vase incarne alors une partie du domaine royal. Ce mythe souligne le prix attaché par l’histoire chinoise aux bronzes archaïques. Ils sont un signe de bon augure accréditant le mandat céleste. L’empereur Wudi des Han (r. 141-87 av. notre ère) va jusqu’à changer le nom de l’ère de son règne en Yuanding, littéralement « premier ding » à la suite de la présentation au trône d’un bronze ding récemment exhumé. L’empereur Qianlong (r. 1736-1795) aura à coeur de reprendre une tradition de publication de catalogues initiée sous les Song. Le musée Guimet compte dans ses collections un album de planches aquarellées publié sous son règne, album intitulé Splendeur de la métallurgie de bon augure. Les pièces de la collection impériale y sont reproduites au-dessus d’une notice indiquant leurs dimensions, leur poids, leur provenance et leurs inscriptions. C’est l’histoire de ces deux millénaires pendant lesquels les bronzes représentent pleinement l’essence d’une société, ses valeurs rituelles, le rapport au passé incarné par le culte des ancêtres royaux, qui est exposée à travers les pièces exceptionnelles d’une collection.

2. Introduction à la chronologie des bronzes chinois
En Chine, l’âge du bronze débute réellement quelques deux mille ans avant notre ère. Dans le bassin moyen du fleuve Jaune, traditionnellement considéré comme le berceau de la civilisation chinoise, des armes, des plaques d’ornements incrustées de turquoises et des vases rituels sont découverts aux abords des palais de Erlitou au Henan, jalon intermédiaire entre la fin du néolithique et le début des Shang (XVIes. av. notre ère). Se fixent alors les premières formes du répertoire des vases à boissons fermentées jue, jia ou he, reprises de prototypes en céramique. Le décor en filet délimité par de petits cercles et travaillé en intaille avec motifs stylisés est animé par le motif promis à un développement sans limite et récurrent du masque de taotie : deux yeux associés à une mâchoire supérieure, des cornes et des crocs, le tout attaché au corps d’un reptile dessiné de profil, image du glouton sans doute empruntée au graphisme des jades néolithiques.

3. L’autel du rituel
Dans les périodes les plus anciennes, Shang et Zhou, l’évolution des formes et du décor des bronzes est le reflet du contexte rituel et guerrier de temps à l’histoire mouvementée. Il s’agit d’affirmer la puissance de la dynastie et, à partir des Zhou, la légitimité du souverain chargé d’assurer le lien avec le Ciel. La richesse et la variété de formes de la collection Meiyintang permet de proposer une évocation de ce qu’était l’autel du rituel, table sur laquelle était disposés les vases à boissons fermentées - jue , jiao, gu, zhi, zun, you et verseuses he lors de grandes cérémonies réunissant, sous les Shang, les prêtres-devins entrant en communication avec les esprits des ancêtres royaux. Sous les Zhou, vainqueurs par mandat céleste du régime affaibli des Shang, les cérémonies sont fondées sur des rites s’organisant autour du souverain, considéré comme le « Fils du Ciel » (voir séquence V).

4. Le bestiaire des Shang et des Zhou
Riches de la tradition des ciseleurs de jade, voire des laqueurs contemporains, les bronziers Shang travaillent l’ornementation pour introduire, dans les formes des vases, un univers chargé de mythes. C’est le reflet d’une savante cosmologie, sans doute liée au lointain héritage du monde chamanique des périodes néolithiques et de leurs totems. Sur les parois, masques animaliers taotie, dragons, serpents, tigres, bovidés, cervidés, hiboux, motifs stylisés, désignent les bronzes comme objets du culte. La force de l’imaginaire est telle que les formes évoluent vers celles d’un bestiaire, sorte de « sculpture » animalière, animant des pièces dont l’inscription dans l’espace échappe à la simple fonction statique d’un vase pour s’inscrire dans le mystère du monde magique.

5. Le banquet
A l’avènement des Zhou, en 1050, les États vassaux créés aux quatre coins de l’Empire à partir du réseau complexe des clans font allégeance à la maison royale, détentrice du pouvoir légitime. Se met en place un système qui permet à la dynastie des Zhou de régner pendant près de neuf siècles. Dans ce contexte, les rites, minutieusement réglés par des écrits deviennent affaire de l’État et prennent une importance égale à celle des armes. Chaque célébration se déroule dans une ambiance solennelle. Après cuisson dans des tripodes ding, sacrifices et offrandes sont présentés dans des récipients appropriés aux différents types de nourriture, offrandes qui prennent alors le pas sur les boissons fermentées considérées comme ayant précipité la chute des Shang Ces grandes liturgies sont animées de danses rituelles avec un accompagnement musical qui nécessite des carillons, des tambours et des pierres sonores, les fêtes s’achevant par un banquet.

6. Monumentalité
S’appuyant sur une organisation complexe - exploitation des gisements, extraction des minerais, mise en lingots et transport, puis maîtrise des fours et coulée du métal ; recours à une main-d’oeuvre hautement qualifiée capable de concevoir et de préparer des moules en terre cuite que des ciseleurs ornent d’intailles afin d’obtenir des fontes en relief ; mais également expéditions lointaines, notamment en direction du Sud, vers de nouveaux gisements ayant peut-être même entraîné le déplacement de certaines capitales - la production de bronzes est la mémoire tangible de l’effort gigantesque d’une classe dirigeante qui se mobilise au service de ses enjeux politiques et symboliques. Dès Erligang, les pièces peuvent atteindre des dimensions monumentales, à la mesure des palais et des espaces de la capitale royale dans lesquels se déroulent les cérémonies. Sur le site d’Anyang, a été exhumé le plus grand fangding connu à ce jour, pièce de plus de 1,30 mètres de haut et d’un poids de 875 kilos ! De telles pièces relèvent d’une esthétique s’appuyant sur des lignes très fortement dessinées et « outrepassant » les limites et les volumes des formes d’origine : lei; hu; zun; gui; anneaux pushou; cloches ou encore ding. Les dimensions ne font d’ailleurs pas tout : la monumentalité est déjà inscrite dans les formes de deux fangyi dont le couvercle évoque une toiture.

7. Guerre et paix
Les sociétés Shang et Zhou fondèrent leur expansion et leur puissance sur la guerre. Dans ce domaine, la maîtrise de la technique de fabrication d’armes en bronze constitue un atout considérable qui leur permet de l’emporter sur des clans moins hiérarchisés et chez lesquels l’approvisionnement en matière première et la production des ateliers sont moins bien organisés. Si des productions régionales sont attestées, elles n’ont pas toujours la qualité des pièces provenant des centres du pouvoir.Les tombes Shang et Zhou ont livré de nombreuses pièces associant fonction technique et décorative sur des essieux et embouts divers, autant de pièces sur lesquelles s’exprime un goût du fantastique destiné, comme dans des séries de masques et plaques d’ornements, à charger de pouvoirs magiques chevaux et chars pris dans les affrontements guerriers, tandis qu’un mélange de puissance et de « classicisme » inspire le décor d’une cloche utilisée sur le champ de bataille.Dans un contexte pacifié, les chars servent à la parade du roi et de son entourage. Les décors des armes et éléments de harnachement et de charrerie développent des motifs hérités de ceux des bronzes rituels - motifs d’oiseaux, de serpents, figures géométriques. Sous les Zhou, le char devient en outre symbole de noblesse et de prestige. Il est offert par le roi à des ministres ou échangé entre aristocrates et de nombreuses pièces qui servent à sa conception sont l’objet d’un travail purement décoratif. Dans les tombes, des « objets de cabinet » - tenant leurs formes de prototypes en laque plus fragiles qui ont disparu - , laissent les bronzes témoigner d’une esthétique raffinée : récipient à pigments, petites boîtes exhumées des tombes de dames de l’aristocratie. Peut-être destiné à conserver une collection de jades, autre symbole de pouvoir de la tradition chinoise, un remarquable coffret mêlant décor animalier stylisé en aplat et petit animaux - oiseaux, ourson tigres - révèle enfin combien les royaumes chinois partagent alors avec les peuples nomades de la steppe un goût de la figuration étendu aux pièces en bronze n’appartenant pas au grand rituel des cérémonies.

8. Le luxe de la cour
Dans un contexte de compétition dans l’ostentation entre les différentes cours vassales des Zhou occidentaux, des formes venues des laques sont reprises en bronze. Ces bronzes deviennent objets d’usage et n’appartiennent plus au registre du rituel. Le goût de la combinaison et du contraste des matières développe des techniques et des décors jouant de la séduction des contrastes entre le fond et des matières déjà utilisées auparavant - pierres précieuses, malachite, turquoise, laque, cuivre, or - ou nouvellement introduites comme l’argent - prenant alors le pas sur le bronze qui parfois disparaît en partie sous l’abondance et la complexité des décors géométriques. Un réseau en filet de laque noire rend une impression de textile sur un vase. Sur un autre, le corps peut être travaillé à la façon d’un motif de vannerie ou encore imiter un prototype en bois ou en cuir. Des scènes de chasse, de guerre, de cueillette ou de banquet reflète les activités humaines.Des clés pour tendre les cordes d’un instrument de musique, des poids pour tenir les quatre coins d’une natte, un vase hu entièrement doré, attestent que, du statut d’objets rituels, les bronzes sont passés au statut d’objets d’art. Ils deviennent le témoignage du raffinement d’une vie de cour brillante à l’aube de changements majeurs.

9. Vers l’humanisme
A la fin du premier millénaire pointent les premiers signes d’un humanisme - la société guerrière et ses valeurs sont en recul devant celles d’une société dans laquelle les représentations humaines connaissent leurs premières expressions - dans un registre non plus fantastique mais clairement individualisé à travers des personnages préfigurant la vogue des mingqi.L’âge du bronze connaît un déclin et prend plutôt la dimension d’un monde mêlant mythes et histoire. La langue chinoise en témoigne : le terme jue est utilisé pour désigner les titres de noblesse - juewei - et la parole de poids d’un homme est dite « égale à neuf ding » ! Le rituel a traversé l’histoire. Chaque fois qu’une dynastie chinoise aura besoin d’assurer sa légitimité, elle plongera vers cette sorte de « mémoire historique » que sont les bronzes, au même titre que les jades. Ainsi, sous les Song, dynastie qui, en réaction contre les pressions étrangères, cherche à restaurer sa légitimité par un retour aux valeurs antiques, une amplification des recherches à la fois historiques et archéologiques permet la découverte de plus de cinq cents bronzes des époques Shang et Zhou. Ces découvertes donnent lieu à la publication des inscriptions portées sur les pièces au moment de la fonte. Sous le règne de l’empereur Huizong (vers 1101-1125) est publié un Catalogue illustré de l’Antiquité décrivant huit cent trente-neuf pièces dont les quelques cinq cents bronzes de la collection impériale. Cet exemple de la collection au sommet de l’État rallie la classe lettrée à la cour des Song dans la préservation des valeurs politiques et morales héritées de l’Antiquité. Sous les Ming, la tradition de collectionner des objets antiques se poursuit en particulier parmi les fonctionnaires lettrés, pilier de l’Empire, et le fait d’admirer ses collections entouré de quelques amis est l’un des thèmes récurrents de la peinture lettrée. Les formes des vases rituels en bronze seront reprises dans les porcelaines pour les rituels que les Qing, d’origine étrangère, restaurent en se référant au Livre des Rites - Zhouli - rédigé sous le règne des Zhou, quelques vingt siècles auparavant. Ainsi s’écrit l’histoire d’une Chine qui s’est toujours sentie éternelle.