contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Vanessa Winship” she dances on Jackson
à la Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris

du 15 mai au 28 juillet 2013



henricartierbresson.org

 

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 14 mai 2013.

934_Vanessa-Winship934_Vanessa-Winship

Légendes de gauche à droite :
1/  James on the bank of the James river, Richmond, Virginia, 23 Mars 2012. © Vanessa Winship/Vu.
2/  Birds Rising along the Mississippi river, New Orleans, Louisiana, 27 Février 2012. © Vanessa Winship/Vu.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt

 

Vanessa Winship, lauréate du prix HCB en 2011, expose ses clichés à la Fondation Henri Cartier-Bresson. Pendant un an, de l’automne 2011 à l’hiver 2012, elle a parcouru les États-Unis pour tenter de saisir l’essence du lien qui unit un territoire à son histoire et à ses habitants, explorant ainsi les contradictions du « rêve américain ».

Images de la solitude

Photographier l’Amérique, c’est avant tout se confronter à son immensité, des étendues désertiques et vallonnées, dont l’unité n’est brisée que par le ruban d’une route solitaire, aux séquoias gigantesques de l’Avenue des Géants de Californie. Face à ces paysages grandioses et écrasants, l’on perd toute notion d’échelle et de proportions. L’arbre imposant, dont les branches nouées occupent toute la partie supérieure du cadre, est-il réellement plus grand que la maison basse qui semble s’abriter sous son ombre, ou tout n’est-il qu’une affaire de perspective ? Et les zones urbaines se mesurent à l’aune de la nature, vides d’êtres humains et dominées par un ciel gris si vaste qu’il paraît prêt à les absorber. De ces immensités dépeuplées où la vie se manifeste par des apparitions éphémères (une voiture sur une avenue déserte, le regard d’une biche à travers l’enchevêtrement chaotique d’une forêt), se dégage un alors sentiment de solitude et de mélancolie, renforcé par l’usage du noir et blanc. Comme pour lutter contre cette défection de l’homme, Vanessa Winship intercale des portraits entre ses paysages. Hommes et femmes, seuls ou en couples, en ville ou au milieu d’un champ, les sujets de ses photographies fixent l’objectif d’un œil franc et direct. Ils s’offrent au regard, renvoyant celui du spectateur sans rien lui dissimuler, vivantes images de la diversité américaine. Malgré la mise à distance inhérente au support, les clichés dressent alors un rapport presque intime avec le spectateur, qui effectue, tout comme l’artiste, son propre voyage intérieur.

Nature et Histoire

Le lien entre l’homme et le territoire s’illustre alors par la construction d’associations parfois insolites et pourtant curieusement harmonieux, où les signes de l’occupation humaine s’insinuent dans la nature. Un cerf émerge ainsi des herbes folles sans se soucier de la route qui passe à quelques mètres de lui, tandis qu’au milieu d’un entrelacement de troncs et de branches, se dessine de manière tout à fait inattendue une petite clairière où se balance au vent, suspendu à une corde, du linge d’un blanc par contraste éclatant. Les États-Unis, semble alors nous suggérer la photographe, se sont bâtis sur les rapports entre l’homme et la nature, où les aspirations de l’un côtoient depuis toujours la sauvagerie et l’immensité de l’autre. Mais les paysages urbains eux-mêmes dévoilent leurs propres contradictions. Un magasin dont le nom, Glitter and Glamour, s’oppose ainsi complètement à sa devanture usée et à son environnement, une banlieue grise et modeste. Empreintes de la subjectivité de l’artiste, les photographies révèlent alors un territoire dont la beauté indomptable exacerbe le sentiment de solitude né de la poursuite du rêve américain et de son individualisme.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Exposition dans le cadre du Prix HCB, Vannessa Winship est la lauréate de l’édition 2011.

 

Pour moi la photographie est comme un processus d’alphabétisation, un cheminement par lequel je comprends que la vie ne nous est pas offerte sous la forme d’un récit parfaitement structuré.

Cette remarque de Vanessa Winship, photographe anglaise née en 1960, donne sans doute les clés (s’il en est) de l’approche extrêmement intime qui est la sienne. Vanessa Winship s’intéresse aux concepts de frontière, territoire, envie, histoire et mémoire. Elle cherche à comprendre comment ces histoires et ces identités sont racontées et exprimées.


Selon la photographe, Il y a quelque chose d’incroyablement beau et pourtant profondément dérangeant à propos de l’Amérique… cette curieuse et inévitable solitude et mélancolie créée par la quête du rêve américain. Photographier l’Amérique, la persistance du rêve américain, un défi que l’auteur décide d’entreprendre à l’automne 2011, après avoir reçu le prix Henri Cartier-Bresson pour ce projet. Il faut donc pour cela trouver le vocabulaire et les phrases qui en découlent. Il lui faut ouvrir les yeux et les oreilles, devenir perméable, tout en véhiculant sa propre histoire - douloureuse à cette période.

Pendant plus d’un an, la lauréate du prix HCB a donc sillonné le territoire américain de la Californie à la Virginie et du Nouveau-Mexique au Montana. Parfois à la poursuite d’un vol de grues du Canada (les oiseaux dont on a trouvé les traces les plus anciennes sur la terre), parfois traquant désespérément une âme qui vive dans ces zones urbaines où personne ne se déplace plus à pied, l’artiste cherche à comprendre comment s’articule le lien entre un territoire et une personne.

Il est intéressant de noter que le seul court texte qui introduit le travail est un récit par l’auteur d’une scène extrêmement visuelle et précise, qu’elle choisit de ne pas photographier. Pour le lecteur, ce voyage débute par une photo manquée, par un moment magique « she dances on Jackson » où le vécu a pris le pas sur la distance et le contrôle nécessaire à une photographie en grand format.

Elle préfère le Noir et Blanc, qui s’est imposé rapidement. Moins réaliste, il lui permet de jouer davantage avec le temps, celui de l’histoire, de la mémoire et celui du présent. Elle aime écouter en cachette les conversations banales où les mots inhabituels sont des passeurs indispensables :  ce travail est un chapitre, conclut-elle, une citation d’Amérique à un moment précis de son histoire et aussi de la mienne.

L’exposition est accompagnée d’un catalogue publié aux Editions MACK.


 

she dances on Jackson par Vanessa Winship

Je rentre chez moi à la fin d’une journée passée à arpenter les rues. Quand j’arrive sur le quai à Jackson, une foule fait cercle autour d’un orchestre. La musique est bonne et personne ne semble se soucier que les trains soient si peu fréquents.

Non loin, j’aperçois un petit groupe, deux femmes et deux jeunes filles, debout.

Les femmes, d’âge mûr, portent des manteaux d’hiver en tissu uni, les filles des bonnets de laine imprimés panthère et des polaires colorées. Je crois qu’elles attirent mon regard parce qu’aucune ne ressemble à l’autre.

J’essaie de deviner si elles ont un lien de parenté. J’en ai la preuve quand la plus grande des deux filles pose la main dans le cou de l’une des femmes, cherchant son approbation, par ce geste silencieux et intime de fille à mère. Celle-ci donne son accord avec une tranquillité qui laisse entendre qu’elle a l’habitude de permettre ce genre de chose.

La fille ôte sa polaire et se dirige vers la musique. Elle marche avec aisance jusqu’au centre du cercle qui s’ouvre comme si la foule attendait sa venue. Son corps bouge librement, sans effets de pose ni parodie d’adulte. C’est une danse de son invention, entièrement spontanée. Elle ne semble pas avoir conscience des adultes qui l’encouragent ou des musiciens que sa présence fait sourire.

Bientôt, pensant qu’elle a besoin de compagnie, une femme la rejoint. La fille n’ignore pas sa présence, et parfois même bouge en harmonie avec l’autre mais elle est parfaitement heureuse de danser seule.

Le moment se prolonge plusieurs minutes encore, sans que la fille ne perde ni son souffle ni son rythme, et la foule marque son affection en entourant la scène d’un cercle protecteur.

À l’arrivée du train, la mère de la fille fourre une liasse de billets froissés dans la main de l’un des musiciens et elles sautent dans le wagon.

C’est aussi mon train; je m’installe face au groupe, fascinée par la façon dont leur relation s’exprime, toute en retenue. Mon désir, c’est d’en faire partie, de leur demander qui elles sont, où elles vont, mais mon instinct m’en dissuade. Le hasard veut que nous descendions ensemble à Cumberland, et elles me précèdent vers le même parking en sous-sol. A aucun moment je ne suis assez près pour entendre ce qu’elles disent et je ne veux pas entrer par effraction dans ce monde parfait.
Nos voitures sont garées à côté. La fille finit par nous remarquer, l’appareil et moi.

Le silence se brise: “Vous avez un bel appareil”, dit-elle. Et sur ces mots nous montons dans nos voitures, pour ne plus nous revoir.

Vanessa Winship, Chicago, Novembre 2012


 

Vanessa Winship – biographie
Après des études en cinéma et photographie à l'école Polytechnic of Central London, Vanessa Winship commence par enseigner la photographie à Londres. Elle travaille ensuite pour le National Science Museum et devient photographe indépendante. Elle rejoint l’Agence Vu’ en 2005 et partage son temps entre le Royaume-Uni et les Balkans où elle réalise ses premiers reportages « Schawarzes Meer » et « Sweet nothings ».
Très vite, au cours de ses longs séjours dans les Balkans où elle a vécu près de 10 ans, Winship a laissé de côté le reportage pour privilégier la frontalité des portraits. Son second ouvrage, « Sweet Nothings » proposait une série de visages d’écolières anatoliennes en uniforme, posant avec une simplicité grave et juste.
Ses travaux ont été exposés dans différents musées et festivals : Les Rencontres d’Arles, le Kunsthalle Museum of Contemporary Art de Rotterdam ou la Photographers’ Gallery de Londres. Ses photographies font notamment partie des collections de la National Portrait Gallery, du Nelson-Atkins Museum et de la Fondation d’entreprise Hermès.