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“Ahlam Shibli” Foyer Fantôme
au Jeu de Paume, Paris

du 28 mai au 1er septembre 2013



jeudepaume.org

 

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 27 mai 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Ahlam Shibli, Sans titre (Eastern LGBT n° 13), International, 2004/2006, tirage chromogénique, 55,5x37 cm. Courtesy de l’artiste, © Ahlam Shibli.
2/  Ahlam Shibli, (Trauma n° 2), Corrèze, France, 2008-2009, tirage chromogénique, 38x57,7 cm. Chanac-les-Mines, 18 juin 2008, Daniel Espinat, ancien membre de l’Armée secrète, montre des documents sur la torture pratiquée en Algérie par l’armée française qu’il diffusait clandestinement en Corrèze pendant la guerre d’Algérie. Courtesy de l’artiste, © Ahlam Shibli.
3/  Ahlam Shibli, Sans titre (Dom Dziecka n° 4), Dom Dziecka.The house starves when you are away, Pologne, 2008, tirage gélatinoargentique, 57,7x38 cm. Dom Dziecka Trzemietowo, 7 octobre 2008, mardi après-midi. Gracjan Schmelter et Tomasz Brzadkowski posent devant l’appareil photo avec une sculpture devant l’entrée de l’orphelinat. Courtesy de l’artiste, © Ahlam Shibli.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt


Ahlam Shibli présente au Jeu de Paume six séries de photographies. L’exposition interroge la notion de « foyer », enjeu de luttes mais aussi, parfois, carcan répressif.

Principe ambivalent
D’origine palestinienne, l’artiste se livre ici à une réflexion teintée d’anticolonialisme sur l’oppression liée à un territoire et la difficulté d’affirmer son identité, nationale ou sexuelle, face à des forces contraires dominantes. À cet égard, le conflit israélo-palestinien occupe une place particulière. La série Trackers, réalisée en 2005, évoque ainsi les volontaires palestiniens qui se sont engagés dans l’armée israélienne afin d’avoir les moyens d’obtenir un terrain pour y construire leur foyer. Ces jeunes hommes que l’on voit manier des armes sous le commandement d’une puissance étrangère qui menace chaque jour l’intégrité de leur terre s’opposent alors aux figures de résistants présentées dans la dernière salle de l’exposition. Intitulée Death (2011-2012), cette série de photographie aligne affiches représentants les Palestiniens tombés au combat lors de la seconde Intifada, et lettres et journaux envoyés par les prisonniers à leurs familles, tous autant de mémoriaux dressés en souvenir de ces combattants constitués en martyrs. Mais si le foyer, symbolisé par le territoire, doit ici être protégé à tout prix, il peut aussi devenir une prison. Eastern LGBT (« LGBT » pour « Lesbiennes, Gay, Bi et Trans », 2004-2006) aborde ainsi le sort de ces hommes et femmes qui ne peuvent vivre librement leur sexualité dans leurs pays parce que contraire aux opinions de la majorité. Dans Trauma, Ahlam Shibli évoque en filigrane le mal causé par la politique colonialiste française par le biais des immigrés, tels les Pieds-Noirs, vivant toujours dans la nostalgie d’un foyer perdu, ou ce Harki, chassé d’Algérie et ignoré par la France, qui n’est plus chez lui nulle part. Elle y révèle un paradoxe : ceux qui ont vécu l’enfer de l’occupation allemande en 1939-1945 célèbrent pourtant les morts des guerres répressives d’Indochine et d’Algérie…

Une photographie de l’humain
Pour rendre compte de la réflexion sur la signification de la notion de « foyer », la photographie d’Ahlam Shibli se fait documentaire. Elle approche les êtres au plus près, afin de mieux les saisir dans leur intimité, sans rien dissimuler des instantanés de vie qu’elle intercepte à la volée. Loin d’effacer la réalité du quotidien par un cadrage artificiel qui ne pourrait que la désincarner, elle la montre au contraire dans toute sa vitalité chaotique et spontanée. L’alternance entre les photographies en noir et blanc artistique et celles en couleurs provoque de plus un contraste saisissant. Quand les premières semblent éloigner de nous les personnages et les lieux qu’elles nous présentent, les secondes, brusques éclairs de lumière vive rompant brutalement le rythme, nous les rendent soudain beaucoup plus familiers. Ces violentes (re)prises de conscience servent son propos et sa réflexion. Cet homme qui se maquille ou ces enfants orphelins plongés en plein devoir, qui remettent en question  par leur existence même les conventions imposées par leurs sociétés, deviennent alors des symboles de résistance, une résistance qui, pour être ordinaire, n’en est pas moins courageuse.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires :
Carles Guerra, Marta Gili, João Fernandes et Isabel Sousa Braga

 

Le Jeu de Paume présente la première rétrospective de l’artiste palestinienne Ahlam Shibli (née en 1970). Foyer Fantôme réunit six séries photographiques qui condensent les recherches d’Ahlam Shibli autour de la notion de « chez-soi ». Le travail d’Ahlam Shibli s’inscrit dans la continuité des projets qui, au sein de la programmation du Jeu de Paume, proposent de nouvelles formes narratives dans le champ de la photographie documentaire, comme en témoignent les expositions qui ont été consacrées aux travaux de Sophie Ristelhueber, Bruno Serralongue ou Santu Mofokeng.
Cette exposition réunit une sélection d’oeuvres réalisées depuis 2000. Ces images sont ancrées dans l’actualité, non dans l’urgence d’un témoignage, mais dans la nécessité de réinventer une distance critique avec la transformation profonde du regard subjectif. Elle présente aussi Death (2011-2012), dernière série en date, conçue spécialement pour l’occasion, qui montre les efforts de la société palestinienne pour préserver la présence de ceux qui ont perdu la vie en combattant l’occupant.
Le travail photographique d’Ahlam Shibli recourt à l’esthétique documentaire pour explorer les contradictions inhérentes à la notion de « chez-soi ». Il traite de la perte de la terre et de la lutte contre cette expropriation, mais aussi des restrictions et des limitations que l’idée de terre impose aux individus et aux groupes touchés par une politique identitaire répressive. Parmi les lieux marqués par cette problématique, on citera les territoires palestiniens occupés ; les monuments qui commémorent à la fois les résistants français qui se sont opposés aux nazis et les combattants français de guerres coloniales menées contre des peuples qui réclamaient à leur tour leur indépendance. Depuis quelques années, la pratique photographique de Shibli s’est élargie à d’autres questionnements autour de l’exclusion sociale à travers la situation des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres issus de pays orientaux et les communautés d’enfants dans des orphelinats polonais. Death, la dernière série de Shibli à ce jour, montre les efforts de la société palestinienne pour préserver la présence de ceux qui ont perdu la vie en combattant l’occupant. Cette série accorde une large place aux absents à travers des photographies, des posters, des tombes et des graffitis, présentés comme une forme de résistance au régime colonial.

 

L’exposition comporte six séries photographiques réalisées par Ahlam Shibli durant la dernière décennie. La plupart de ces oeuvres sont accompagnées de légendes détaillées qui les situent dans un temps et un lieu précis. Elles jalonnent une enquête qui a souvent amené l’artiste à fréquenter longuement les personnes concernées, à les observer et à s’entretenir avec elles. Texte et image forment un tout qui en interdit l’utilisation dans un contexte autre que la politique anticoloniale, sujet de prédilection de l’artiste. Foyer Fantôme condense les recherches de l’artiste autour de deux acceptions de la notion de « chez-soi ».
Le premier ensemble réunit les séries Eastern LGBT (2004 / 2006) et Dom Dziecka. The house starves when you are away (2008). Si le corps est considéré comme le « territoire originel » de l’être humain, il apparaît aussi comme la cible première des politiques identitaires répressives. Ces deux séries montrent que, malgré une vie précaire, des minorités soumises à la violence et à l’absence de reconnaissance utilisent leur corps pour créer des conditions d’existence contraires aux valeurs et aux attentes de la majorité.
Un deuxième ensemble regroupe des oeuvres plus récentes : Trackers (2005), Trauma (2008-2009) et Death (2011-2012). L’ordonnancement de ces séries retrace un conflit colonial qui ne se limite pas à la Palestine, mais nous renvoie, à travers une ville française, aux guerres d’indépendance d’Indochine et d’Algérie. La ville de Tulle, dans le sud-ouest de la France, organise des célébrations pour commémorer les victimes d’un massacre atroce commis sous l’occupation nazie, mais aussi celles qui, juste après la Libération, se sont battues contre l’indépendance d’autres peuples. Pour les Palestiniens, en revanche, l’état d’exception qui a marqué les événements représentés dans Trauma est devenu la règle. Il ne leur reste rien d’autre que leur propre corps. Pour affronter le mépris, ces « damnés de la terre » n’ont d’autre solution que d’investir leur propre vie.
En ce sens, la démarche photographique d’Ahlam Shibli est guidée par des principes qui entendent rendre compte du sort des opprimés. Son travail évite donc une obsession historique propre à ce médium, celle de fournir des preuves à tout prix. Ses images refusent d’expliquer le conflit. Elles l’observent pour combattre les préjugés.
La série Self Portrait (2000) se situe en marge des ensembles précédents. La photographe y recrée un épisode de son enfance. Une fille et un garçon sont les protagonistes d’une histoire aux contours flous qui se déroule aux abords du village où l’artiste a grandi. Leurs gestes, leurs jeux et leur position au milieu d’un champ ouvert définissent un territoire qui, loin de revêtir une démarcation rigide, existe en tant que représentation. La production de « territoires existentiels », selon le terme du philosophe français Félix Guattari, est une forme de résistance qui peut s’exercer à l’intérieur d’autres territoires, comme l’État ou la communauté. La photographie d’Ahlam Shibli perçoit cette résistance comme une accumulation de signes qu’elle recueille dans des séries et des séquences photographiques, là où l’image fait sens dans le contexte d’autres images.