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“les voyages de Marie-Nelly Denon-Birot”
Quelques jours parallèles : Le tram en boucles

Bordeaux, le 11 juillet 2014

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BORDEAUX D’HIER. BORDEAUX D’AUJOURD’HUI.

Sous le soleil d’Aquitaine rien ne change vraiment puisque les gens y ont presque le même accent, sauf que le langage un peu vert semble s’être évadé vers d’autres contrées ; mais tout change en des réalités qui deviennent d’incontournables habitudes. Des quais revus et corrigés, des quartiers aux pierres rachetées de leurs ineffables noirceurs de vieux port, une cathédrale qui ne voit pas la fin d’une réhabilitation depuis longtemps commencée, mais il y a tant et tant de pierres !
Il est temps parfois de rester debout devant ce navire minéral et d’imaginer une jeune duchesse d’Aquitaine franchissant le portail Nord du bâtiment au bras d’un presqu’aussi jeune roi de France…

Ces gens du bord de Garonne, qui avaient jadis la gasconnade aisée, marchent si vite dans les rues qu’ils semblent ne plus avoir du temps pour lever les yeux vers quelques mascarons usés du soleil, de la pluie et des siècles passant par ici. Ils les ont connus, les trams des années quarante et cinquante, je parle pour les anciens qui ont mon âge ! Puis des autocars triomphants et surchargés ont envahi la ville, qui n’a plus su où les faire courir. Couloirs adaptés, milieu de chaussées ?

Il fut un jour question d’un métro dans une ville au sous sol (paraît-il) impossible…

Puis politiques après politiques ce fut au nouveau tram que furent assignées de nombreuses missions : vaincre les flots de voitures, parvenir à limiter la pollution de l’atmosphère, transporter moult et moult passagers, même les très nombreux qui oublient forcément de payer laissant ce soin à d’autres voyageurs.

Ah ce tram, cyclope fuselé, avec ou sans caténaires il a changé les paysages urbains de cette vieille dormeuse des bords de Garonne ; il est devenu l’indispensable - parfois dangereux - vecteur de jonction entre des points souvent bien différents.
Pour quelques voyageurs il est un panier de rêves un peu fous, un prétexte à chalander des contes à dormir debout, d’une station à l’autre… D’une vie à l’autre.

C’est toujours ainsi que cela se passe m’avait dit ma grand-mère maternelle « Tu prends le tram pour aller à la gare, et tu te retrouves loin très loin dans le temps ».
Elle s’était tu, presque songeuse.
Oui c’est vrai, quelle que soit la ville où roule un tram !
« Mais c’est un temps qui n’existe qu’en portions congrues dans tes souvenirs hésitants, un temps que tu déploies comme une bannière mais aussi comme un linceul. »
Elle parlait du tram d’alors, bien avant ce Tram.
………..
Enfin, un jour, à Bordeaux, revint le Tram. Il suffisait alors de l’emprunter, comme on emprunterait un bouquin pour passer quelques instants sans trop s’ennuyer, pour tracer et suivre des chemins incongrus ; des sentes un peu magiques afin de sortir de la routine.
Quelquefois aussi, sortant de ce long couloir roulant, trop plein, brouillé d’odeurs diverses, de sons multiples, de visages confondus, il peut nous arriver qu’en marchant vers nos foyers nous reviennent des souvenirs aigrelets et malfaisants…
Parfois c’est seulement en s’asseyant, à l’arrêt du tram, sur un banc douteux, que l’aventure du rêve debout a pu nous saisir et nous envoyer vers d’opaques contrées et des hommes, encore honorés, égarés dans des circonstances fallacieuses. Il est peut-être arrivé que nous nous perdions dans des peurs obscures et cherchions à nous en séparer en nous accrochant à quelques mots d’espérance. Il y a toujours de noires araignées qui traînent en quelque lieu, des malmignattes maudites qui n’ont ni paix ni cesse de dresser leurs traquenards infâmes et de se réjouir de la souffrance causée. Les fils qu’elles tissent nous engluent dans des peurs inutiles, mais nous aimons avoir un peu peur. Nous nous balançons à notre tour au bout de ces fils pour plonger dans des fossés de végétaux tentaculaires qui eux aussi s’engluent dans nos esprits un moment déroutés. Et c’est pour ne pas y songer que nous nous inventons quelques fois des histoires « à dormir debout »… Des histoires un peu cotonneuses, qui nous apportent une évasion fragilement onirique, nous font passer quelques moments hors du temps réglementé de nos vies… Et tout au fond nous illuminent d’une fragile lueur d’espoir, afin de continuer la route si belle et si difficile de la vie.

Alors ce sont dans nos oreilles fatiguées par le temps qui passe sans nul remords que se réveillent des douleurs assoupies.
Alors s’y profilent quelques aventures dans le tram, et des songes qui nous transportent dans le temps, avec des mots dérivants de noirceur et d’espoir…


C’était cela aussi qu’aurait pu dire une femme sans âge, toute vêtue de noir,

Elle avait souvent pris ce tram…
Un jour de solitude grise elle décida de l’attendre tous les jours,
A la même heure.
A l’enfant qui voulut savoir pourquoi,
Elle sourit mi triste, mi ironique…

Certes, ce sont de drôles d’histoires qui lui furent murmurées à chaque fois qu’elle emprunta ce tram.
Certes, ce tram aurait dû s’appeler le « tram des fous ». Mais comme toujours elle était pressée de rentrer chez elle, à chaque fois plus pressée que les autres fois. Elle avait hâte de se plonger dans un fauteuil, de s’y reposer, d’oublier les fantasmagories qui naissaient en son esprit dès lors qu’elle montait dans le tram. Elle n’arrivait jamais assez vite pour caler dans son tiroir favori toutes ses notes. Ses notes qui griffaient dans tous les sens les pages des sobres et élégants carnets qui l’accompagnaient dans tous ses déplacements…

La voix à laquelle elle avait fini par s’accoutumer annonçait « Peixotto » et la voici qui se savait presque arrivée chez elle, avec dans la tête cette autre voix qui racontait de telles histoires qu’elle hésitait, malgré son désir de tout saisir, à s’en souvenir.


De quoi se faire prendre pour une folle, une cabourde comme l’on dit dans le
Sud…


Elle sourit mi triste, mi ironique…