« De même que l’athlétisme fortifie les forts et affaiblit les faibles, tel système qui convient à Pierre ne saurait convenir à Paul » Forts de cette maxime qu’un illustre philosophe de l’Antiquité se plut à nous léguer, nous décidons de partir à la découverte du Monde de l’Art en Grande Caragne du Sud.
Ainsi qu’en est-il de la formation des artistes ? Pour nous faire une juste opinion de la situation, nous nous imposons la visite de l’EBAITUD, et c’est Monsieur le Secrétaire Général des Pédagogies Unifiées qui nous servira de guide. Ce prestigieux établissement situé en périphérie de la capitale, occupe un immeuble récent dont la particularité est d’avoir la forme d’une étoile à cinq branches. La conception résolument contemporaine du nouvel édifice éloigne définitivement l’ancien couvent des Carmélites, transformé en Ecole des Beaux Arts lors de la révolution du 9 juillet 1937. L’œuvre actuelle, produite par les soins de l’Architecte Officiel de l’Etat, est délibérément ambitieuse autant par sa forme si caractéristique que par sa dimension.
Maintenant, nous pouvons en parcourir les couloirs, en gravir les étages, sous la conduite du Secrétaire du GPU qui à grand renfort de gestes nous indique les différentes affectations du site. Ainsi la scolarité de l’élève suit-elle un parcours très précis, directement en lien avec la conception du bâtiment, chacune des branches de l’étoile correspondant aux cinq années du cursus. La première branche, aussi appelé Quartier des Basses Catégories, le QBC, accueille les nouveaux arrivants qui achèveront leur scolarité au Quartier des Hautes Spécialités, le QHS.
Les salles nombreuses, soigneusement fermées par de lourdes portes coulissantes ne permettent pas de voir le corps enseignant tout à son ouvrage d’éducation de la future élite du monde de l’Art. Nous nous avisons auprès du Secrétaire du GPU du nombre de professeurs et de la nature de l’enseignement dispensé. En guise de réponse, notre guide nous gratifie d’un simple hochement de tête. Serait-il embarrassé par l’étrange bruit que nous percevons depuis notre entrée ? Un bruit persistant de corne de brume venant des tuyaux des radiateurs détonnant étrangement dans ce décor high-tech. Nous n’en saurons pas plus. Au gré de notre cheminement, nous croisons des élèves silencieux, qui semblent attendre quelque chose ou quelqu’un. Puis, au détour d’un couloir, stationnant devant des machines à café, un rassemblement de professeurs, reconnaissables comme nous devions l’apprendre à leurs blouses de travail orange, fait silence à notre approche.
Voilà que notre curiosité est passablement aiguisée, nous comptons bien interroger le responsable de l’établissement. Par bonheur, au détour d’un couloir un groupe compact de ce qui semble être une équipe enseignante, reconnaissable évidemment à ses tenues si particulières, avance dans notre direction. À la tête de cette équipe, un homme de taille moyenne, élégamment vêtu d’un costume seyant semble donner le pas avec conviction.
Le Secrétaire du GPU qui jusqu’alors nous accompagnait vaillamment, paraît s’être subitement volatilisé. Il a tout bonnement disparu. Un homme se détache du groupe, se présentant comme responsable du Secrétariat des Unités Spécialisées et des Bases des Interventions Techniques. Malgré l’émoi qu’a provoqué l’apparition de ce nouveau visage, nous manifestons notre volonté de nous entretenir avec le Chef d’établissement. Mais le Secrétaire des USBIT nous informe qu’il s’agit là d’une inspection pédagogique, aussi par la suite fera-t-il le nécessaire pour nous introduire auprès des autorités des lieux, à la condition que nous suivions le groupe. Nous acceptons de suivre ce transport d’autorité et tel un officier attaché à la grande écurie du roi, nous accompagnons l’illustre Cour.
Nous tentons une question concernant la nature exacte de cette inspection. « Nous sommes dans l’obligation de faire des contrôles réguliers afin de nous assurer du respect des directives ministérielles concernant l’application et la mise en place du thème annuel de recherche des élèves ». La réponse bien que chuchotée laisse supposer que cette expédition augure de multiples surprises. Mais quel est donc l’objet du thème de l’année ? « Le thème de travail de l’année est : Œil de poisson ? Œil de canard ! La Direction a reçu des plaintes d’enseignants déplorant le manque d’engagement d’un groupe d’élèves de cinquième année. L’objet de cette inspection est de repérer les éléments perturbateurs et Monsieur le Directeur, quoique d’un tempérament magnanime, sera en la circonstance, intraitable envers les élèves osant remettre en cause le bien-fondé du thème annuel ». Nous risquons une nouvelle question concernant la nature des sanctions qui doivent s’appliquer. « Ordre, Vigilance, Novation et Investigation, sont les principes fondateurs de l’école et ne peuvent souffrir de la moindre interprétation »
Le ton agacé de la réponse laisse deviner le niveau d’exacerbation provoqué par cette contestation au sein de la prestigieuse institution, et n’autorise aucune question supplémentaire de notre part. Silencieusement, le groupe s’introduit dans un atelier après qu’une lourde porte coulissante en ait libéré le passage. Nous sommes précisément dans l’espace où se trouvent les élèves en fin de cursus. Un petit homme ventru apparaît du fond de la salle de travail et se dirige immédiatement vers le Directeur. Il s’agit selon les dires d’un membre du groupe de Monsieur le Secrétaire Général des Recherches Artistiques et des Techniques des Unités Logisticiennes. Notre « peloton d’investigations nécessaires » est conduit immédiatement vers le fond de l’atelier, et nous y découvrons une table de travail couverte de papier découpé, de tubes de peinture, de dessins épars. Le Secrétaire Général nous apprend que le jeune homme, qui occupait cette table, ainsi que six de ses condisciples, ont été conduits ce matin auprès du Bureau de la Répression de la Délinquance, afin de leur signifier leur exclusion immédiate de l’établissement.
Visiblement le dénouement de cette affaire semble apporter une certaine accalmie dans le groupe et Monsieur le Directeur indique au Secrétaire des USBIT son intention de nous accorder un entretien. Alors que nous regagnons l’étage où se trouvent le Secrétariat des Applications et des Modalités des Unités de Recherche, le cœur de la pédagogie de l’institution, nous croisons un autre groupe, en formation de barrage, et ne paraissant pas être composé d’enseignants. Une certaine confusion s’installe, au moment où un personnage superbement costumé prend la parole avec une autorité ministérielle. Il s’agit en effet de Monsieur le Ministre des Forces des Propositions Positives. Le ton est impérieux, mais un bruit de tuyauterie beaucoup plus perceptible à cet étage, rend difficile la bonne compréhension du propos. Nous devinons malgré tout qu’il est question d’un renvoi, celui en l’occurrence du Directeur de l’école. C’est alors qu’un jeune homme, le teint hâlé, l’allure sportive, s’avance, écartant d’un coup d’épaule l’ex-directeur qui s’efface illico du groupe. Nous apprenons que le nouveau Directeur, fils aîné du Ministre ici présent, entre en fonction sur le champ. Le Secrétaire des USBIT se précipite vers le nouveau Directeur et après un échange rapide, revient nous informer que ce dernier souhaite satisfaire notre curiosité à la seule condition que nous lui fassions parvenir les questions par écrit. Nous donnons notre accord à ce protocole inhabituel, heureux toutefois de la perspective de produire un article pertinent sur le renouveau de l’Illustre Ecole.
Nous n’en saurons pas plus aujourd’hui et nous nous retirons, soulagés surtout d’échapper au bruit persistant de la tuyauterie qui semble être soudainement monté en puissance.
J. Barthou de Pires, Bruxelles, avril 2015
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