Légendes de gauche à droite : 1/ Aurore Bagarry, La Jonction, glaciers des Bossons et du Taconnaz. Tirage sur papier coton, dimensions : 100 x 125 cm. © Aurore Bagarry courtesy galerie Sit Down. 2/ Aurore Bagarry, Glacier du Tour : Vue prise près du Refuge Albert 1er. Tirage sur papier de riz, dimensions : 60 x 75 cm. © Aurore Bagarry courtesy galerie Sit Down. 3/ Aurore Bagarry, Glacier de l’A Neuve, vue prise de la cabane de l’A Neuve. Tirage sur papier de riz, dimensions : 60 x 75 cm. © Aurore Bagarry courtesy galerie Sit Down.
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extrait du communiqué de presse :
Depuis 3 ans, Aurore Bagarry travaille à la chambre 4x5 inch sur un inventaire des principaux glaciers du massif du Mont Blanc en France, en Italie et en Suisse.
A travers ce travail, cette jeune photographe s’interroge non seulement sur le regard que nous portons sur les glaciers aujourd’hui face à un phénomène climatique qui nous échappe mais aussi sur la photographie comme démarche de trace, de documentation d’un paysage en transition. Quel regard poser sur la montagne aujourd’hui, monument naturel remanié par l’homme ? Quel sera l’avenir des glaciers qui semblent fondre inexorablement et quels seront les impacts de cette disparition sur le paysage ?
En 2013, ce projet a reçu, pour sa réalisation, le soutien du Centre National des Arts Plastiques, Fond d'aide à la photographie documentaire contemporaine et celui de la Mairie de Saint-Gervais-Les-Bains (Haute Savoie).
Le livre Glaciers édité avec le soutien du Club Alpin Suisse par les Éditions h'Artpon accompagne cette première exposition personnelle.
Avant d’être admirée au XIXe siècle, puis domestiquée et consommée au XXe siècle, la montagne est source d’appréhension. Ainsi jusqu’au XVIIIe siècle, les “glacières“ de la “Montagne Maudite“, l’actuel Mont-Blanc, ne sont guère visitées.
C’est à un inventaire photographique de ces fameux glaciers que procède Aurore Bagarry et c’est par une carte de ces flots gelés que s’ouvre son voyage. Le recours à la chambre photographique accompagne son exploration contemporaine. L’infinie qualité de détails et la totale maîtrise technique des rendus de lumière et de couleur renvoie aux approches documentaires les plus exigeantes. Le style en est adopté mais les choix de points de vue, de lumière et de cadrage troublent l’impression de “déjà vu“.
Ces glaciers ne ressemblent ni à ceux, actuels, issus de la conquête sportive ni à ceux enregistrés par les glaciologues contemporains ni encore aux images ” noir et blanc ” des glaciers d’albumine, de collodion ou de gélatine qui ont pali avec le temps. La vision est revitalisée ici, via la couleur, dans la rencontre extrême et sensible entre une jeune femme photographe et des sites qui, s’ils ne sont plus considérés comme maudits, n’en restent pas moins fascinants.
Luce Lebart, Historienne de la photographie, Directrice des collections de la Société Française de Photographie
Dans Ascension1, l'écrivain suisse de langue allemande Ludwig Hohl (1904-1980) nous prévient : “Les bons alpinistes sont presque toujours des êtres laconiques.“
Tout dans son récit renvoie au rapport nécessairement minimaliste que l'homme doit entretenir avec la montagne. Les deux héros du récit, partant à l'assaut d'un glacier, affrontant héroïquement et de manière tragique la dureté du milieu, incarnent à la perfection cette parabole quasi-nietzschéenne : “Celui qui gravit les plus hautes montagnes, celui-là se rit de toutes les tragédies qu'elles soient réelles ou jouées.“2 Le travail d'Aurore Bagarry s'inscrit tout à fait dans cette filiation qui fait de la représentation de la montagne la matière d'une logique du retrait et de l'épochè. L'emépochè comme la suspension du sens, comme la mise à distance d'une raison humaine qui ne peut rivaliser avec la puissance grandiose de l'élément naturel.
En s'attachant à inventorier les glaciers de la vallée du Mont-Blanc en France, en Italie et en Suisse, les photographiant entre juin et septembre, après la fonte des neiges, Aurore Bagarry enregistre avec un objectivisme chirurgical le glacier comme présence, mais aussi comme trace. On pense évidemment ici à certains grands peintres romantiques, mais surtout au travail de photographes comme Léon Gimpel ou Walker Evans et Bernd/Hilla Becher pour la distance documentaire. Car il semble aujourd'hui difficile de travailler avec l'imaginaire du romantisme et son pathos du sublime : la rationalité scientifique et ses multiples outils de mesures climatologiques ont eu raison de la métaphysique des sommets.
C'est précisément au sein de ce mouvement de désacralisation que s'inscrivent les photographies d'Aurore Bagarry. L'idée de la trace, de ce qui survit à l'inexorable fonte des neiges, pose la question du statut de sa fixation sur le support photographique. Les multiples variations de formes des glaciers peuvent-elles encore se donner à voir par le photographe ? Ne sommes-nous pas confrontés à l’irrémédiable encodage du singulier par l'impressionnant maillage de données de l'appareil technique ? C'est de cette tension que se nourrit ce projet d'Aurore Bagarry, ici en dialogue avec ce qu'une certaine méditation mélancolique quant au devenir du monde moderne peut réellement signifier.
Vincent Chanson, Doctorant en philosophie
1 Ludwig Hohl, Ascension, trad.fr. Luc de Goustine, Paris, Attila, 2007. 2 Friedrich Nietzsche, Ainsi Parlait Zarathoustra, trad.fr. G.A. Goldschmidt, Paris, Le Livre de Poche, 1972, p.56.
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