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Jeunesse |
“Formes et Couleurs selon Květa Pacovská”
des livres de Květa Pacovská aux éditions minedition
www.minedition.com (français) www.minedition.com (deutsch)
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1/ 2/ Pages intérieures, Madame Prend-le-prend-le [Die Nimmt es Nimmt es Frau], de Kveta Pacovska. © minedition.
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texte de Françoise Schmid, rédactrice pour FranceFineArt.
« Je suis peintre, sculptrice, plasticienne, et je n'ai jamais suivi d'études de graphisme. J'aimerais que mes ouvrages soient perçus ainsi, non pas comme des œuvres d'un illustrateur professionnel mais comme le travail créatif d'un autre ordre. » Voici ce que disait Květa Pacovská lors d’une rencontre à la bibliothèque de Créteil en 2004. L’artiste fête cette année ses 90 ans, publie encore. Son éditeur Michael Neugebauer lui a rendu du reste hommage en choisissant son dernier album pour illustrer la couverture du catalogue en langue allemande 2018 de ses éditions jeunesse : Die Nimmt es Nimmt es Frau, 2018, à paraitre en français sous le titre Madame Prend-le Prend-le. Ce sont bien des livres d’art que cette grande dame de l’illustration propose au regard enfantin.
D’abord la couleur, le rouge qui prédomine, soutenu en contraste par le noir et le blanc. Une couleur chaude que l’illustratrice dit avoir privilégié pour des raisons techniques, alors que la gestion des couleurs était difficile dans les années 50, l’impression des rouges était la mieux maîtrisable. L’artiste affectionne cependant toutes les couleurs qu’elle manie avec une assurance tranchée. Elle utilise des formes simples, géométriques, découpées, collées, juxtaposées. Deux albums en particulier prennent pour thème la couleur : Couleurs du jour publié en 2010 et Couleur couleurs : le livre-jeu des couleurs, 1992. Rond Carré : Le livre-jeu des formes, 1994, développe dans l’espace une géométrie des couleurs.
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3/ 4/ pages intérieures, Madame Prend-le-prend-le [Die Nimmt es Nimmt es Frau], de Kveta Pacovska. © minedition. |
Une problématique en trois dimensions
Les feuilles ne sont pas forcément planes, la proportion des éléments représentés chamboule singulièrement le sens commun ! Certes, Les livres pop-up, les magnifiques théâtres de pliages découpés qui s’ouvrent au milieu d’un livre existent depuis bien longtemps mais ici la manipulation de l’objet-livre amène des pratiques de lecture différentes. Il ne s’agit plus seulement de contemplation. Le jeune lecteur va manipuler le livre, il est invité après avoir été intrigué, questionné, à poursuivre avec son propre imaginaire l’aventure…
Les formes géométriques abstraites se déclinent dans Rond carré en dimensions variables par assemblage d’éléments diversement colorés. Le(s) triangle(s) deviennent carré ; plus originale est la transformation d’une ligne qui traverse les deux pages de l’album ouvert à plat sur la table pour devenir carré, grâce au pliage d’une languette lorsqu’on tient le livre entrouvert. Ce même principe de pliage crée le volume d’un lion terriblement présent sur la double page « je suis un lion et je fête mon anniversaire » … L’artiste nous mène de la forme abstraite à un élément concret représenté, le bouton, la fenêtre et plus loin à la construction d’une représentation par l’utilisation de simples éléments géométriques.
Couleur couleurs est un album à spirale (30 x 24 cm) contenant des dispositifs de fenêtres ou de rotation d’éléments. Si l’observation des couleurs est au départ l’intention didactique, la mise en page ouvre la dimension de la créativité. Observons l’économie de moyen et la polysémie des images : d’abord le crayon, rectangle de couleurs surmonté d’un triangle, il va paraître et réapparaître, épais et occupant toute la page ou bien effilé : il est crayon/maison habité par une petite grenouille. Lorsqu’il est mince, il devient l’axe de la roue qui distribue les couleurs. La roue devient ensuite lune ou maison d’escargot ou corps d’Arlequin… À noter la pointe du crayon qui gribouille la page, initiant le regard à la notion de ligne… elle désigne aussi en bordure une bande de rectangles colorés rappelant la zone de test couleur que les imprimeurs utilisent pour contrôler l’impression, jouant ici aussi le rôle de palette de références. Le gris, le blanc font partie de l’aventure. Pour l’artiste, le noir et blanc qui ne font pas partie du spectre des couleurs sont toutefois essentiels pour obtenir « un contraste maximum » car « le contraste maximum, c’est la beauté maximum » *
Une histoire se raconte, blancheur froide de la lune, chaleur du jaune ou du rouge, gaîté ou tristesse… L’imaginaire a été sollicité, l’album fortement manipulé… « Terminé ! » dit la grenouille… mais la dernière page du cahier à spirale invite à recommencer ou à dessiner maintenant sa propre histoire…
La musique des couleurs
Květa Pacovská dit choisir les couleurs "en fonction de leur son, de leur bruit propre... Lundi vert, mardi bleu, mercredi orange, jeudi rose, dimanche a les oreilles jaunes... Voici ce que j’imaginais lorsque j’avais dix ans, étonnée que personne d’autre ne connaisse la couleur des jours."
Couleurs du jour est un imagier carré (13 x 13 cm) constitué d’une seule bande de papier pliée. On peut le lire dans n’importe quel sens, droite gauche, gauche droite, on peut regarder au travers par des lucarnes, des triangles, des demi-lunes…, on peut voir l’image inversée sur une planche argentée qui fait miroir, on peut voir des visages, des portes ou des maisons, voir au travers, voir en pleine page et surtout s’installer pour jouer avec ce cube-livre qui, posé sur sa tranche, développe un volume pliable et dépliable selon les infinies combinaisons de cet assortiment d’une centaine d’images.
Là encore, l’imaginaire et la créativité du lecteur peuvent se donner libre cours avec l’intéressante particularité de faire découvrir la transformation par le mouvement et les volumes. Couleurs et formes géométriques se recomposent en personnages, en visages, en maisons. L’imagier manipulé accède au statut de sculpture. A noter qu’un labyrinthe géant dans lequel le visiteur est invité à circuler, a été scénographié à partir de ses ouvrages, dans le cadre de l’exposition “Un livre pour toi” au Centre culturel de Saint-Raphael, 2010. Les livres de Kveta Pakovska ont une dimension architecturale.
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5/ 6/ pages intérieures, Le petit roi des fleurs, de Kveta Pacovska. © minedition. |
L’écriture au cœur de l’image
Le rapport texte/image a toujours été au cœur du travail de Květa Pacovská. Dans l’album Tour à tour, le jeu entre l’image, le sens des mots et leur graphie offre un exemple particulièrement abouti de l’intention de l’artiste. Dès la couverture, tous les éléments d’une histoire sont en place : cet étrange album à la couverture blanche cartonnée, est percé d’un rectangle vertical duquel surgit un pliage en accordéon qui suggère le volume d’une tour. Au-dessus, un petit cochon volant et deux virgules argentées semblent marquer le mouvement ou un déplacement d’air tandis qu’un peu en retrait, comme l’ombre portée de la tour, un rectangle composé de lettres rouges, légèrement tracées à la main, sont comme un bruissement : rrrrr…ppp… ttt… La première page nous chuchote plus loin « - écoute, tu entends ? » Le ronflement des R et P et T bientôt suivent… et l’histoire commence : « à l’heure où le jour rencontre la nuit la tour Tournesol se penche vers la tour Tournevol pour lui chuchoter un secret ». Des formes vont surgir des mots et réciproquement, jeu logique à la Lewis Carroll, qui déploie toute la fantaisie poétique de Květa Pacovská.
Le temps et les nombres
On ne saurait traverser cette œuvre sans parler de la musicalité des formes et couleurs. Si les lettres chuchotent, les signes de ponctuation introduisent le rythme et le temps dans le dessin. Dans l’album Ponctuation, 1976, Květa Pacovská réussit la performance de donner vie à ces infimes éléments de l’écriture auquel nous portons d’ordinaire peu d’attention. Ainsi le tiret, petit rectangle noir, soupir sur une portée musicale, trait d’union ou trait pour une division, va suspendre l’attention, partager l’espace, écrire un silence... Que dire du point, de toutes les sortes de points de ponctuation ? Là encore, la magie opère, là où l’artiste, changeant les dimensions de notre perception habituelle, apporte un foisonnement d’images et de transformations. L’acuité de la perception en est redoublée, pureté d’une forme isolée ou vibration dans un ensemble saturé de signes. Citons encore une séquence de Rond carré dans laquelle le texte dit : « je suis un son dans une sonate ». Un personnage souffle dans une flûte de laquelle s’échappe une ligne colorée suspendue dans l’aire blanche de la page. Dans Ponctuation, Květa Pacovská introduit la conscience du temps en demandant au lecteur de « compter jusqu’à 4 » avant de tourner la page. Si c’est une plasticienne qui fabrique ces livres, les dimensions de l’espace et du temps, des sons et des couleurs ne cessent de se croiser. C’est une vision du monde dont le volume et la résonance excèdent toujours la page imprimée que Květa Pacovská nous offre, chaque fois qu’elle s’atèle à un sujet. De l’élément miniature qu’est le point, celui qui n’a pas d’épaisseur pour le mathématicien, au 8 qui symbolise l’infini, Květa Pacovská parcourt le monde des formes en architecte du livre, elle nous les désigne dans leur incarnation matérielle, nous livre la clé de la créativité en invitant avec fantaisie et souvent humour au jeu de leur reconstruction.
Françoise Schmid
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7/ 8/ pages intérieures, Couleurs couleurs, de Kveta Pacovska. © minedition. 9/ couverture, Couleurs couleurs, de Kveta Pacovska. © minedition. |
In : *Rencontre avec Květa Pacovská. Hôtel de Ville de Créteil. 15 juin 2004
Éléments biographiques : Květa Pacovská, née en 1928 à Prague, y a fait des études artistiques, découvrant à l’époque les concepts picturaux de l’avant-garde européenne en se confrontant aux œuvres d’un Paul Klee, d’un Kandinski ou d’un Joan Miro. Elle est peintre, sculptrice, plasticienne avant tout. Mais c’est au livre illustré qu’elle a consacré une importante contribution. Reconnue mondialement, son travail est exposé et primé dans bien des pays. Elle a, entre autre, reçu les prix suivants: "Pomme d'Or" du BIB de Bratislava, le Grand Prix des "Premi Catalonia" à Barcelone , le "Grand Prix Allemand de la Littérature pour la Jeunesse", la "Lettre d'Or" de Francfort, le "Pinceau d'Argent" à Amsterdam, le "Prix Graphique" à Bologne, le "Prix Johan-Gutemberg" à Leipzig, le "Sankei Book Culture Award" à Tokyo et surtout, en 1992, elle reçoit pour l’ensemble de son œuvre le “Prix Hans-Christian Andersen“, la plus haute distinction internationale de littérature pour la jeunesse.
Bibliographie des ouvrages consultés : À l’infini, Paris, Panama, 2007 Couleur couleurs : le livre-jeu des couleurs, Paris, Seuil, 1993 Couleurs du jour, Paris, Grandes personnes, 2010 Rond carré : le livre-jeu des formes, Paris, Seuil, 1994 Tour à tour, Paris, Nord-sud, 1995
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