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Tanguy Viel La disparition de Jim Sullivan |
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Légendes de gauche à droite : 1/ Portrait de Tanguy Viel, © Roland Allard. 2/ Couverture : La disparition de Jim Sullivan de Tanguy Viel.
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Tanguy Viel La Disparition de Jim Sullivan Les Editions de Minuit, 2013
On sait, depuis Diderot et Sterne, combien le roman du roman peut avoir de charme. Le narrateur de La Disparition de Jim Sullivan, auteur français d’histoires françaises situées en France, trouve soudain ce pays « pétrifié » et « inadapté au besoin d’air » que comble sa lecture de romans américains, « romans internationaux qu’on trouve traduits dans toutes les langues du monde et qui se vendent dans beaucoup de librairies ». Il décide donc de situer son prochain livre aux Ėtats-Unis, précisément à Détroit, « ville internationale », « riche d’un point de vue romanesque » et « parfaite pour placer le décor d’un roman ». Ce n’est pas le moindre attrait du roman de Tanguy Viel que de mettre d’entrée de jeu le lecteur en appétit par ce pari ambitieux et de l’associer au fil des pages au choix très distancié des procédés « américains » de sa fabrique. En effet, si « tout livre, selon Gracq, pousse sur d’autres livres », loin de masquer ses références, le narrateur entend « ne pas déroger aux grands principes qui ont fait leur preuve dans le roman américain » dont, par exemple, « le personnage principal, en général, est divorcé », en l’occurrence Dwayne Koster, professeur d’université spécialiste de Melville, trompant sa femme (Susan Fraser, rencontrée lors d’un concert mythique d’Iggy Pop) avec une étudiante délurée par ailleurs barmaid (Milly). Telles seront les règles du jeu. Mais ces « principes » ne sont en vérité que des poncifs que Tanguy Viel s’emploie à réactiver avec humour et brio pour la plus grande jubilation du lecteur. Ces stéréotypes, dont le romancier use avec gourmandise (ah ! la Dodge Coronet blanche de Dwayne, « une bouteille de whisky sur le siège passager, des cigarettes en pagaille dans le cendrier plein », la soirée barbecue entre collègues, l’alcool, les motels et les routes à perte de vue !), sont à la fois des motifs imposés et les pièces d’un jeu de création littéraire. Les emprunts affichés à la littérature et au cinéma américains procurent un plaisir de lecture doublé de celui d’assister « en direct » à l’élaboration du roman. Le lecteur partage les options du narrateur (« que ça fasse comme une fresque », mais « ne pas faire un thriller politique ») comme ses réticences techniques (« je n’aime pas trop les flash-back ni décrire les personnages »), en même temps qu’il assiste à la course dramatique de Dwayne Koster vers son destin. Au rythme d’un suspense efficace, dans un style parlé savamment négligé, Tanguy Viel prend soin, roman américain oblige, d’inscrire la vie de Dwayne Koster dans l’histoire récente des Ėtats-Unis : assassinat de John Fitzgerald Kennedy, attentat du 11 septembre et crise financière. C’est la guerre d’Irak qui, mêlant Dwayne à un trafic international de pièces d’archéologie provenant du pillage du musée de Bagdad, scelle son destin en faisant de lui le meurtrier d’un agent du FBI. Un destin que le jeu romanesque noue avec malice à celui de Jim Sullivan, disparu quarante ans plus tôt dans le désert du Nouveau-Mexique, dont Dwayne écoute les chansons en boucle dès les premières pages. « C’est vrai que ça reste une énigme, la disparition de Jim Sullivan, un énigme qui bien sûr fascinait Dwayne Koster, sans quoi je n’aurais pas intitulé mon livre La Disparition de Jim Sullivan. » Dans sa fuite, Dwayne rate un virage et se tue. « Dans les pliures du métal, malgré le sang qui coule sur son front, Dwayne Koster voit une ombre s’approcher de la voiture et se pencher vers lui […], c’est Jim Sullivan qui lui sourit et lui tend la main […] Et Dwayne marche, il marche dans le désert craquelé, et puis voilà, c’est l’Amérique, Dwayne disparaît, disparaît dans le lointain. » Fondu au noir. Jean-Louis Vidal |