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Livres

 

“Rouge Micro”    Photographies de TempsMachine
Diaphane éditions

 

www.rougemicro.fr
www.diaphane-editions.com

 

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légendes de gauche à droite
1/ Couverture de Rouge Micro, par TempsMachine, Diaphane éditions.
2/ TempsMachine, (dans l’ordre de gauche à droite) Patrice Normand, Philippe Grollier, Nolwenn Brod, Vincent Leroux, Yannick Labrousse. Photographie : © Aurélie Lefebvre.
3/ Naissances du verbe. Phographie de Vincent Leroux, TempsMachine 2013.
4/ La couleur du son. Phographie de Yannick Labrousse, TempsMachine 2013.
5/ Francis Culture. Phographie de Patrice Normand, TempsMachine 2013.
6/ Topographie. Phographie de Philippe Grollier, TempsMachine 2013.
7/ Pluralité. Phographie de Nolwenn Brod, TempsMachine 2013.

 


icono audio
Interview de TempsMachine avec Vincent Leroux, Patrice Normand et Yannick Labrousse,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 13 décembre 2013, durée 13'58". © FranceFineArt.

 


TempsMachine est un collectif de photographes fondé à Paris en 2005 :
Nolwenn Brod, Philippe Grollier, Vincent Leroux, Yannick Labrousse, Patrice Normand.
www.tempsmachine.com


Janvier 2013. Sur une proposition de TempsMachine, les photographes du collectif investissent les locaux de France Culture, situés dans la Maison de la Radio à Paris, pour une carte blanche et une durée de quatre mois. Quatre mois pendant lesquels ils découvrent un lieu, les visages de ceux qui la font, la fabrication d’une couleur sonore, les préparatifs d’une émission… Ils y retournent souvent. Chacun produit lentement des images qui collent à cette station: exigeantes et sensibles.

Mai 2013. Les photographies sont terminées. Cinq séries en ressortent : Topographie (Philippe Grollier), Pluralité (Nolwenn Brod), Naissances du verbe (Vincent Leroux), La couleur du son (Yannick Labrousse) et Francis Culture (Patrice Normand). Thomas Baumgartner écrit un texte.




Le jokari surnaturel et l’hypothèse du baobab de Thomas Baumgartner


Quand le sage montre la radio, le fou regarde le doigt, qui fait antenne. Donner à voir par des images le pouvoir de la radio ne peut se faire qu’en passant par ses contours. Son centre, définitivement aveugle, est rétif aux images imposées. La radio est un triangle des Bermudes pour les chasseurs d’images. Les braconniers les plus malins, dont ceux ici présents, sont seuls à en revenir. Les autres sortent des radars.

La radio n’a pas de visage. Elle en a cent, elle en a mille, donc elle n’en a pas. Mais elle a des mouvements et des moments de pause. Elle a des mains, elle a des lieux, elle a des traces laissées derrière elle, pour une heure ou pour toujours. Et, à regarder les photos du collectif Temps Machine, qui a su saisir toutes ces dimensions, la radio a aussi des murs.

Le mur est irréfutable et fondamental. Le plafond a son importance aussi, le sol a un rôle non négligeable, la porte sait jouer sa partition avec humilité, laissant le moment venu toute sa place à la serrure. Mais le mur et son absolue spécificité verticale sont essentiels. D’ailleurs, si le désordre l’emporte parfois sur un parquet ou une moquette, l’autorité du mur, adjointe des composantes de la pesanteur terrestre (les sœurs Masse et Gravité, qui se postent à ses côtés), le maintient dégagé, laissant libres sa surface et ses ornements. C’est là que le son, attendu fébrilement, accueilli sous les hourras, taquiné puis célébré, arrive tel le fils prodigue. Puis, à peine posé, vous savez ce que c’est les retrouvailles en famille, il rebondit.

Si on le laisse faire, le son s’envole. Il tire sur la laisse, qui casse à chaque fois. Des études scientifiques très sérieuses, presque américaines, ont envisagé une radio sans murs. Il apparaît, équations à l’appui, que dans un pareil cas tous les sons émis s’accumuleraient au sommet des arbres des villes et des campagnes, comme des ballons d’hélium à la sortie de la fête foraine. Les platanes de nos allées regorgeraient de voix et de notes mélangées, rassembléesde haut en bas en attendant les premiers souffles de vent. Les Vosges feraient semble-t-il exception en toute saison, car les bulles sonores éclateraient immédiatement au contact des conifères aux épines persistantes. Les mêmes études soulignent les qualités particulières du baobab, dans le cas d’un tel scénario. Sa forme comme son bois permettraient un maximum d’accumulation sonore et la meilleure résonance. C’est à son pied qu’on entendrait le mieux. Le double choix d’une radio sans mur et de la mise en place de baobabs-antennes le long des rues et des routes serait sans aucun doute une étape marquante dans l’histoire de la radio. Ce n’est qu’une piste pour l’avenir, qui n’est pas officiellement à l’ordre du jour, mais la science a désormais donné un avis très clair et jusqu’à présent incontesté sur le sujet.

Sous réserve de cette hypothèse radicale, les murs sont là pour apprendre au son à vivre, avant qu’il repasse par le micro et qu’on ne réponde plus de rien. C’est du jokari. Retour à l’envoyeur, et alea jacta est.

Voilà la justesse des membres de TempsMachine. Ils ont abordé France Culture chacun selon son envie et ses choix – figures, couloirs, recoins, échos… Et ils se rejoignent au pied du mur. Présent sous toutes ses formes, frontal ou décorum, lisse ou rugueux, bois ou peinture, clair ou foncé, il est partout sur leurs images. Car la radio qu’ils ont capté se fait dans une maison qui porte son nom. Et on ne trouve pas de maison sans un minimum de murs.

Parfois, le mur délimite le studio. Ce mot à tiroirs doit bien être un peu latin, ou très italien. Il est lieu de l’« étude », et sonne aussi comme une conjugaison à la première personne : c’est donc bien un lieu personnel et subjectif. Élargi à sa définition immobilière, il est le lieu où j’habite, où j’invite. Bienvenue chez moi. Enfin, il peut être l’atelier de l’artiste et de ses élèves, où se transmettent le savoir et le geste, où s'inscrivent les mouvements et les traces. Entre ses murs. Pas étonnant alors que la radio soit le média du partage intime.

Tout est affaire de toi et moi (d’ailleurs, comment ça va, toi ?), dans un endroit où la porte est ouverte métaphoriquement, et les murs sont solides concrètement. Parler dans un micro,c’est parler à un seul auditeur à la fois. Mais où commence l’intimité ? Dans l’oreille de celui ou celle qui écoute, sans doute. Mais en amont encore, c’est dans la disposition même du studio – où l’on parle, mais aussi on fabrique, on mélange, on mixe – que s’élaborent la voix, le ton, le son, l’adresse. Le mur protège notre intimité bientôt diffusée, bientôt publique.

Figurons-nous un homme. Ou une femme. Face au micro, il ou elle improvise. De la chambre de son cerveau, il ou elle sort des mots personnels, agencés personnellement. Les voilà sortis, ils résonnent. Et au même moment à quelques micro-secondes près, ils sortent de la maison, font les ondes. Ils franchissent les murs de la pensée, puis du studio, puis ceux du bâtiment, et rebondissent sur d’autres surfaces, ailleurs, peut-être partout ailleurs. Le son est contraint et ubiquitaire, maintenu et libre. La magie technique fait qu’à la fois les murs font résonner et laissent passer, ils sont durs et transparents tout en même temps. C’est précisément le pouvoir occulte de la radio, à l’égal des tables tournantes. Elle est à la fois ciment et songe, double identité qu’on expérimente tous les jours sans plus vraiment se retourner sur l’extraordinaire.

Quand le sage montre la radio, le fou écoute le mur, qui donne la couleur. La sagesse populaire prête des oreilles aux murs, c’est donc que le mystère a été partiellement éventé. Mais la moindre faille, la fissure toute petite conserve toute sa part d’énigme sonore. Enquêtons, et pour ce faire observons les images. Dans chaque détail, il y a une partie du jokari surnaturel jamais complété, un indice possible. Puis écoutons.


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