Entretien, réalisé en russe et traduit en français, par Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt.
Vasily Klyukin, entrepreneur immobilier russe, est installé depuis peu à Monaco. Venu se reposer sur la Côte d’Azur après des années de travail éreintantes, il propose aujourd’hui à travers son livre Designing Legends plus de 50 projets architecturaux destinés à modifier le visage de nos villes.
Vasily Klyukin, racontez-nous comment vous est venue cette passion pour l’architecture et plus particulièrement pour les gratte-ciels ? Est-ce un rêve d’enfant ? S’est-elle imposée progressivement dans le courant de vos activités dans le secteur immobilier ou, plus tôt, lors de vos études à l’Académie des Finances de Moscou ? Peut-être que cette passion est récente. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Justement, connaissez-vous cette histoire ? Un type fume debout près d’un gratte ciel. Arrive un journaliste qui lui dit : - Bonjour, je suis journaliste pour tel journal. Puis-je vous poser quelques questions ? - Vas-y de toute façon, je suis là à fumer. - Depuis combien de temps fumez-vous et combien d’argent dépensez-vous pour les cigarettes ? Le type lui répond. Le journaliste sort sa machine à calculer, fait quelques calculs et dit : - Si vous ne fumiez pas, vous auriez pu économiser cet argent et l’investir. Aujourd’hui avec cet argent vous pourriez devenir propriétaire de ce gratte-ciel ! - Bien, en fait, je fume et ce gratte-ciel est à moi.
A cette époque lorsque l’on m’a raconté cette histoire, cela m’a fait rire. Je savais bien sûr à ce moment-là, à la fin des années 80, que ces grands immeubles existaient, mais je ne pouvais pas m’imaginer qu’un gratte-ciel pouvait appartenir entièrement à quelqu’un ou que l’on pouvait même habiter dedans. Pour moi, cela était juste une histoire drôle, comme d’autres qui parlaient des extra-terrestres. On peut rire quelque fois des choses sans avoir pleinement conscience de leur réalité. C’était alors la première fois que j’entendais ce mot de "gratte-ciel".
L’histoire du livre Designing Legends est vraiment particulière. Je travaillais énormément, presque sans relâche. Soudain, avec la crise de 2008, j’ai compris que l’on pouvait tout perdre et ne pas profiter de tout ce que l’on avait fait. Deux ans plus tard, j’avais réussi à mettre l’entreprise hors de danger, mais j’étais exténué. C’est alors que j’ai décidé de prendre de longues vacances. Je voulais m’occuper de mes trois enfants qui grandissaient sur la Côte d’Azur et je voulais créer dans le domaine de l’art.
Mon expérience moscovite de réhabilitation immobilière m’a été très utile ici, à Monaco. Tout a commencé par l’achat d’un petit hôtel particulier que je voulais rénover. A Moscou, je travaillais dans le secteur de la construction et j’ai pu acquérir une expérience très variée, qui m’a permis de voir un potentiel inhabituel dans ce bout de terrain. C’est là que j’ai décidé de créer un concept de tour, comme symbole du Monaco d’aujourd’hui. Je ne veux pas seulement construire la plus belle tour, mais aussi la tour la plus high-tech possible.
Mon premier projet a bien été reçu. Cela m’a procuré beaucoup d’énergie et d’inspiration. Finalement j’ai continué sur ma lancée, ce qui m’a permis de réaliser cet album de 300 pages. Le livre a reçu un réel succès. Il a été présenté à Monaco, Moscou, Paris, Dubaï, Turin et bientôt à New York. Pour moi, l’ultime consécration viendra lors de la présentation au musée Peggy Guggenheim à l’ouverture de la XIVe biennale d’architecture à Venise, le 6 juin 2014.
Au jour d’aujourd’hui, j’ai reçu déjà plusieurs propositions de réalisation de mes projets. Le 19 mars, nous avons signé un protocole d’entente avec une entreprise américaine pour la construction de « Tunis Economic City ». Cependant, ce que je désire le plus avec ce livre, c’est d’obtenir la construction de la tour Comet ici à Monaco.
Vous proposez des projets architecturaux emprunts d’un monde légendaire, issu de la mythologie grecque ou de symboles communs de la Chance et de la réussite. Vous proposez de faire des immeubles–statues, un art monumental qui unirait l’architecture et la sculpture. Que recherchez-vous en proposant cette symbiose des formes ? Cherchez-vous à influencer le comportement des gens ou est-ce tout simplement votre conception de la beauté ?
Quand je suis à Moscou, j’habite à Moskva-City et, depuis le 49e étage, j’observe comment se construisent les gratte-ciels. J’ai souvent pensé à celui que moi, je construirais. Il ne s’agissait pas d’un simple immeuble, mais tout de suite d’une œuvre d’art contemporaine. Ce sont ces pensées qui m’ont aidé à concevoir mon idée.
Bien sûr, la proposition est polémique et peut ne pas plaire à tout le monde, mais rappelez-vous des discussions autour de la construction de la Tour Eiffel. C’est important de travailler ou de vivre dans un immeuble que tout le monde connaisse. Imaginez que vous habitiez dans la tour Venus ou des Tours éprises que j’aurais construites. Immédiatement, les gens seront d’où vous venez, comme pour l’Empire State Building, le Gherkin et les tours Petronas. A Moscou, il y a une statue de Pierre le Grand, réalisée par Zurab Tsereteli. Beaucoup de monde la décrie, moi elle me plaît. D’ailleurs, c’est un argument de vente dans le quartier : « appartement avec vue sur la statue de Pierre le Grand ».
Vous proposez des projets architecturaux du futur. Justement, comment vous représentez-vous notre futur ? Pas seulement du point de vue architectural, mais de façon globale.
J’ai reçu beaucoup de commandes, si bien que maintenant c’est une architecture d’aujourd’hui, et pas du tout de demain. En publiant le livre j’ai partagé mes idées avec les autres. Cependant, je ne peux pas tout construire moi-même. Mon imagination est trop vaste. Je prépare un second ouvrage. Si bien que celui qui veut construire l’un de nos projets sera le bienvenu. Moi, je me concentre sur la tour Comète de Monaco.
A vrai dire, je ne pense pas beaucoup au futur, mais je l’imagine plutôt d’un bon œil. Je suis plus un homme du présent. Je ne veux pas laisser filer la possibilité de vivre pleinement. Une bataille entre la paresse, la fatigue et le désir de faire m’anime constamment.
Propos recueillis par Mireille Besnard
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