Hélène Berr
JOURNAL
Editions Tallandier, 2008 / Collection Points Seuil, 2009
Une parole retrouvée On doit à la ténacité de Mariette Job, nièce d’Hélène Berr, qu’ait pu paraître, soixante-quatre ans après sa rédaction, le journal que la jeune femme a tenu sous l’Occupation, d’avril 1942 au 15 février 1944. Victime des persécutions antisémites, puis déportée, Hélène Berr est morte à vingt-quatre ans en avril 1945 à Bergen-Belsen. Confié par précaution à la cuisinière de la famille Berr au fil de son écriture, le manuscrit fut transmis au fiancé d’Hélène, Jean Morawiecki, qui le remit à Mariette Job en 1994. Exposé en 2002 au Mémorial de la Shoah, le texte a été édité en janvier 2008 aux Editions Tallandier. Le rayonnement de cette « parole retrouvée » fut immédiat. Tiré à cent mille exemplaires en quelques mois, il a depuis été traduit dans trente-huit pays.
Journal et histoire Le succès de l’ouvrage et son emprise poignante sur le lecteur tiennent tout autant à l’importance du témoignage qu’il constitue qu’à son étonnante qualité littéraire. Mais en partie seulement. L’émotion du lecteur, en cela très vive, naît de voir la jeune femme s’avancer les yeux grands ouverts, avec ses craintes et ses espoirs, sur un chemin dont l’issue fatale nous est connue. Ecriture et lecture entretiennent ici un rapport d’asymétrie qui porte la dimension tragique du Journal à son comble. Si Hélène Berr saisit le présent à chaud, pas plus que son père lorsqu’il vient d’être arrêté, elle ne connaît « l’issue de l’affaire ». Si elle pressent que « la suite des jours se colore de ce que sera l’histoire », elle ignore vivre les derniers temps de son histoire que nous lisons le cœur serré comme la chronique tendre et grave d’une catastrophe annoncée.
Personne / personnage « Une voix et une présence qui nous accompagneront toute notre vie ». Chacun fera siens ces mots de Patrick Modiano, tant est juste, toujours, l’expression des émotions ambivalentes de la jeune femme, émerveillée par la naissance d’un amour et « la beauté irréelle » d’une journée d’été à la campagne (ce sont des pages admirables), en même temps qu’elle est « obsédée par l’heure, par l’impression que cela allait finir. » Mais plus qu’une voix, le Journal est le portrait d’une âme. Une âme forte et droite qui sait « éprouver son courage » et accepter « le pénible effort de raconter » pour témoigner de l’abjection face au silence et à l’incompréhension. La conscience tragique et lumineuse d’Hélène Berr devient ainsi celle d’un personnage universel, figure à la fois de la lutte de notre humanité contre la barbarie et de notre indéfectible aspiration au bonheur ici-bas.
Jean-Louis Vidal
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