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Claire Castillon   Les couplets
Editions Grasset, 2013

 

 
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Claire-Castillon Claire-Castillon

Légendes de gauche à droite :
1/  Portrait de Claire Castillon, © JF Paga - Grasset.
2/  Couverture : Les couplets de Claire Castillon.

 


Claire Castillon

Les couplets

Editions Grasset, 2013

 

Trente-six nouvelles comme autant de couplets de l’éternelle chanson du couple, écrits ici de l’encre la plus allègrement acide. Trente-six variations grinçantes, menées allegro vivace, sur les aléas de la pariade, les promesses et les déceptions de la vie à deux. Excellant à saisir l’humeur du temps, c’est sans état d’âme que Claire Castillon dresse un état des lieux drolatique du champ de ruines où errent aujourd’hui les couples.

Il suffit de trois pages à la nouvelliste, en pleine maîtrise de son art, pour appuyer où ça fait mal et faire sourdre, comme on crève un abcès, le cynisme, la jalousie ou l’usure du temps, composant au fil du recueil un tableau clinique des affres de l’appariement contemporain. Si, comme il est dit dans Hobby, « être en couple, à deux, ce n’est pas être seul, et encore moins être seul à deux », tout semble faire obstacle au rêve d’un bonheur conjugué : l’idée même de vivre à deux : « Le couple nous faisait peur, nous craignions la perte d’identité » (Un grand appartement) et, une fois le pas franchi, la désillusion : « je rêve du mâle d’antan qui rapportait dans sa vareuse perdreaux et faisans » (Rhett Butler), à quoi s’ajoutent les paradoxes de la chair (« à me désirer à ce point, il va me perdre »), le Piment supposé des expériences sexuelles et le doux mirage de l’adultère (Le foyer).

Le salut viendrait-il des enfants ? Il faut lire le récit du Week-end de Pâques à la montagne entre couples amis : dix-neuf enfants qui « râlent » et dix adultes qui « étouffent », réjouis cependant de ce que « dans un groupe, un couple qui se dispute est toujours bienvenu pour la satisfaction personnelle des autres ». Ailleurs, les pères sont victimes des enfants (« quand je rentre chez moi et qu’ils accourent, j’étouffe ») et délaissés par leurs épouses (« en devenant mère, tu t’es mise à détester les hommes »). Le verdict tombe : « Les enfants sont la fin du couple ». C’est sans compter avec le pouvoir autrement destructeur de l’ennui : « il n’y aurait pas le dîner, rituel sans télévision que j’ai instauré afin de sauver notre couple, j’aurais l’impression de vivre toute seule » (Le reproche). « Rien n’est plus invincible que l’usure » (Le bilan).

Mais on peut toujours rêver, à ses dépens, en surfant sur les sites de rencontres où rien ne ressemble davantage à la réalité que l’image de nos désirs. L’âme sœur, l’idéale Manon Séraphin, n’était qu’un pseudo (Le passé). Il n’y a en fin de compte qu’une seule façon de concilier vie de couple et liberté : s’abonner au « jeu en ligne Donkey-city ». « J’aime avoir ma femme à portée de clic » peut dire le personnage de L’annexe, adepte de la cyber sexualité mondialisée et comblé par Magda-Poï, son épouse virtuelle : « le secret de ma femme, c’est sa langue en bonbon. J’avais le choix entre plusieurs goûts et j’ai pris fraise tagada ». Seul peut-être le vieux couple de sans-abri des Mots d’amour, la nouvelle la plus brève et la plus émouvante du recueil, fait du rêve un acte d’amour. C’est par une litanie des biens de consommation dont il lui promet l’obtention future que le mari apaise sa femme : « chaque soir, je la berce comme ça, avec des mots d’amour ».

Tout cela, désillusion, trahisons, désamour et ruptures, qui compose pour notre plus grand plaisir le kaléidoscope du couple en désarroi, est conduit tambour battant, à la fois saisi dans une lumière crue et par l’intelligence de l’humour dont Claire Castillon sait tous les degrés. On saluera enfin la virtuosité narrative avec laquelle la nouvelliste parvient à faire des personnages, auxquels seul leur langage donne vie, les acteurs emblématiques d’une sociologie du couple particulièrement réjouissante.

Jean-Louis Vidal