Légendes de gauche à droite : 1/ Laure Tiberghien, Papiers sensibles, 2016. Papier photographique manipulé. Dimensions variables. 2/ Laure Tiberghien, Polychromes, 2016. Bandes de tirages chromogènes en rouleaux. Dimensions variables. 3/ Laure Tiberghien, Société Lumière, 2016. Plaques au gélatino-bromure d’argent. Dimensions variables.
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Un moment de lumière
Les puristes ne verront peut-être pas de la photographie dans le travail de Laure Tiberghien… C’est vrai, elle n’utilise pas de négatif, ni d’appareil photo et encore moins l’outil numérique. Pourtant tout son travail n’est que photographie. Il est lumière, couleur, sensibilité. Il se réalise dans le noir du laboratoire, là où la chimie et la lumière de l’agrandisseur sont les acteurs qui permettront à l’artiste de révéler l’objet final. Un objet qui accueille la lumière. Un objet qui est l’histoire de la lumière, du temps qui passe et s’inscrit dans sa surface. Un objet qui est la mémoire de ce que nous ne pouvons pas voir.
Par l’exploration de la lumière et de son temps de capture, Laure Tiberghien dissèque cette matière première, invisible et indispensable, en une gamme de couleur, en un inventaire de lumière.
Anne-Frédérique Fer
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Texte de Mats Gustau – extrait de “La lumière est belle” livre d’artiste de Laure Tiberghien.
Le labo-photo est pour Laure Tiberghien un cabinet de métaphores où le tirage, le développement sont autant de recettes d’alchimiste qui transmuent le temps en couleurs. Ce mur recouvert de feuilles de papier citrate (qui est un papier à noircissement direct) dont le rouge évolue au gré de son exposition à la lumière, entamant une progression rosée pour se crisper dans un rouge bruni, tanné, ne dévoile-t-il pas la durée cherchant sa carnation ? Les images ici n’ont pas la psychologie de la figuration, elles font surface du fond du temps et lui doivent tout. Néanmoins, quelques figures percent ici et là, des soupçons de désordre qui viennent mettre en tension l’organisation vers laquelle semblent s’assoupir toutes ces couleurs, ces surfaces plus ou moins réfléchissantes. Et cependant, tout verse à nouveau dans l’entropie, chaque teinte continue de s’intensifier, de se préciser, chaque reflet succombe à sa dégradation.
Les objets qu’elle nous propose (comment les appeler ?) se déploient dans le temps. Comme Proust avec ses personnages, elle tente de les inscrire dans une durée, de leur faire prendre une place considérable dans le Temps. Ainsi, tel daguerréotype - que sa taille rend tout aussi précieux que sa technique - apparaît soudainement comme étant un des plus grands formats exposés, à la seule condition de percevoir justement la durée immense de l’existence dont témoigne sa fragilité. Il y a, spécifiquement dans cet objet, quelque chose du miroir ; non plus un miroir ne reflétant que la place si restreinte que nous occupons dans l’espace, mais un miroir temporel.
Ici sont évaluées les échelles de temps, de temps d’exposition en l’occurrence. Si la lumière prend sa source dans le chaos, elle trouve dans ce travail son dépositaire. Tout le travail de Laure Tiberghien, je crois, repose sur l’articulation d’une responsabilité : comment restituer un peu de ce dont elle se sent quelque part, redevable à l’infinie lumière. Cela ne me semble pas exagéré de dire que, de proche en proche, elle puise un peu de lumière à l’état pur. Si la lumière est le sujet de la photographie, voici un travail éminemment photographique.
Mats Gustau
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