Quel est votre parcours avant d’entrer en école d’art ? Après une terminale littéraire option arts plastiques, j’ai intégré une classe préparatoire publique d’un an, qui nous préparait aux concours d’école d’art (la CAAP de Fontenay-sous-Bois dans le Val de Marne).
Quelle est votre école ? Comment l’avez-vous choisi ? Avez-vous préparé plusieurs concours en école d’art ? Votre école actuelle était-elle votre premier choix ? J’ai intégré l’Ecole Nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris en première année. J’ai passé plusieurs concours de différentes écoles d’art en France, mais les Arts Déco de Paris étaient mon premier choix. Ne sachant pas encore exactement dans quelle voie je voulais m’engager, le fait que cette école propose une première année de tronc commun pour ensuite se spécialiser dans l’un des 10 secteurs qu’elle propose me semblait être une chance. J’ai avant tout été séduite par ses ateliers techniques pointus.
Aujourd’hui en février 2017, à quelle étape de votre “scolarité” êtes-vous arrivé(e) ? J’ai été diplômée avec les félicitations du jury en juin dernier du secteur Art-espace (spécialisé dans la sculpture et l’installation). Je suis actuellement en sixième année, une année post-diplôme qui me permet encore pendant un an d’utiliser les ateliers techniques de l’école pour expérimenter et réaliser des projets et pour préparer ma première exposition personnelle qui aura lieu fin mars.
Quelle est votre pratique plastique ? Comment votre pratique s’est elle imposée à vous ? Pouvez-vous nous raconter sa naissance, son histoire ? J’ai une pratique principalement de sculpture et d'installation qui s’axe autour de forces et mouvements opposés de la verticalité. Il y a deux ans, j’ai fait un échange scolaire de six mois à Rio de Janeiro, et c’est là-bas, entourée des montagnes, que j’ai orienté mon travail autour des questions d'ascension, de gravité, d'équilibre et de chute. En rentrant à Paris, j’ai rédigé un mémoire intitulé Verticalités, et j’ai développé progressivement un travail sur la fragilité de la tenue des formes hautes, et sur ce désir d’élever la matière à la verticale, un geste qui s’oppose à la pesanteur terrestre.
Comment définissez-vous votre pratique plastique ? Inspirée par les formes hautes du paysage terrestre, comme les montagnes ou les falaises, je suis fascinée par les phénomènes de fragilité et de délitement. Les éléments du paysage qui semblent a priori résister à l’attraction du sol, prétendent toucher le ciel pour, finalement, disparaître avec le temps. Faire prendre de la hauteur à la matière, tenter qu’elle s’y tienne, est un vrai défi physique ; un geste quasiment contre nature, puisqu’il s’oppose au mouvement vertical le plus naturel : celui de la chute. Mes pièces sont souvent à la limite de l’effondrement, il s’agit pour elles de tenir debout, en quelque sorte de tenir bon. La posture verticale est une position vulnérable. Des matériaux naturels, comme le bois, les feuilles, la terre, la pierre, ou qui évoque la nature, les briques, l’envers d’affiches, la porcelaine, me permettent de travailler sur cette éphémérité des choses qui nous entourent, sur cette beauté en possible péril.
Si vous deviez résumer votre pratique plastique en 5 mots, quels seraient-ils et pourquoi ? -Verticalité : cette ligne qui fait le lien entre la terre et le ciel est au cœur des problématiques qui m’habitent. -Élévation : je questionne très souvent ce geste et cette volonté d’élever la matière toujours plus haut, cette volonté de s’émanciper de la gravité et du poids des choses. -Fragilité : pour réaliser mes pièces, je m’inspire souvent de phénomènes de fragilité de la matière, comme la manière dont se forment les éboulements de terrain par exemple. J’utilise aussi un langage formel qui invite à considérer la fragilité des sculptures en soi. - Équilibre : mes formes se situent souvent entre la tenue et l’effondrement, elle possède une tension liée à leur équilibre précaire. -Corps : le corps est très présent dans mon travail. Il est lui aussi source d’inspiration quant à sa position verticale ou au désir d’élévation. Mais surtout, mes sculptures et installations sont très souvent à l’échelle des limites de mon corps. Dans mon travail j’investis pleinement mon corps dans le processus de création, jusqu'à aller souvent à la limite de l’épuisement.
Comment se nourrit votre pratique plastique ? Quelles sont vos influences, vos références ? L’histoire ou votre histoire personnelle fait-elle partie des sources d’inspiration de votre pratique ? Mon histoire personnelle ne fait pas partie directement de mon travail. Je suis évidemment influencée par mes rencontres, mes voyages, mes découvertes, mais mes influences restent plastiques, relatives à l’observation du paysage, historique et scientifique. Le travail de Brancusi avec ces problématiques liées à la matière, à son érection, au socle et à l’élan est une référence importante pour moi. Je me sens assez proche des artistes de l’Arte povera dans la matérialité de leurs œuvres, et l’éphémérité de l’utilisation de matériaux naturel et brut. Plus contemporains, Emmanuel Saulnier, Latifa Echakhch, José Davila ou Alicja Kwade ont un travail qui résonne en moi et m’inspire beaucoup.
Si vous avez eu une autre formation, une autre vie, avant d’entrer en école d’art, est ce que celle-ci a une influence sur votre pratique ? Je n’ai malheureusement pas eu d’autre formation avant d’entrer à l’Ensad. Mais en parallèle de mon cursus, j’ai eu la possibilité, aux côtés d’une amie taxidermiste, de réaliser plusieurs pièces à partir de cette technique. Mais aujourd’hui, bien que je garde en mémoire ces procédés et matières, je ne m’en sers pas directement dans mon travail.
Pouvez-vous nous d’écrire l’œuvre qui vous semble pour l’instant la plus aboutie et qui définit aux mieux votre pratique ? Aujourd’hui, je dirais que celle qui définit le mieux ma pratique s’intitule La Sainte Victoire. Lors de ce voyage à Rio, j’ai beaucoup travaillé sur cette question d’ascension et sur l’action de gravir une montagne. De retour à Paris, je me suis demandé comment ramener dans l’atelier cette idée de la montagne, avec ce qu’elle engage de physique et de spirituel. Pour réaliser cette sculpture, je me suis inspirée de l’évènement qui a eu lieu en 1989, un incendie ravageur qui a brûlé des milliers d’hectares de la montagne Sainte Victoire. J’ai été marquée par les images de bois calciné, quasiment réduit en cendre. À partir de branches d’arbres brûlées, j’ai commencé à les assembler, les dresser les unes par rapport aux autres, par des points de contact très faibles. L’idée était de redessiner dans l’espace le dessin schématique d’un relief montagneux. Par cette re-érection d’une matière morte et inerte, c’est une tentative de leur redonner une dynamique, un élan de vie. Cette sculpture se tient dans un équilibre extrêmement fragile dont il ne faut pas trop s’approcher. L’ensemble de la pièce est saupoudré des cendres de combustion, qui garde au sol l’empreinte des chutes précédentes.
Comment pensez-vous et envisagez-vous l’évolution de votre pratique plastique ? J’envisage de continuer de développer mon travail autour de ces questions d’équilibre et de gravité, du poids des matériaux dans un rapport sensible au corps. J’aimerais travailler avec des scientifiques et géologues pour me nourrir de leur recherche, et langage de recherche. Puis progressivement travailler sur cette relation de l’homme au ciel. Intégrer des résidences, en France et à l’étranger, fait aussi partie de mes projets. Aller a la rencontre de nouvelles cultures, nouvelles personnes, nouveaux paysages, me permettra d’ouvrir mon travail à de nouveaux horizons.
En tant qu’étudiant(e) en école d’art, vous sentez-vous déjà artiste ? Pour vous qu’est ce qu’un artiste ? Que signifie pour vous ”être un artiste”, devenir un artiste ? Un artiste est une personne, pour moi, qui développe tout un langage plastique autour de différentes problématiques, en se confrontant à l’exposition de son travail dans différentes institutions. Aujourd’hui je me sens « très jeune artiste », manquant certainement de maturité et d’expérience. Je viens tout juste d’être diplômée, et je n’ai jamais autant eu cette envie de créer. Je participe à plusieurs expositions collectives, échange avec des nouvelles personnes, ouvre et développe mon travail. Je viens d’ailleurs tout juste de me trouver un espace de travail partagé dans l’Atelier W à Pantin. Et je prépare ma première exposition personnelle intitulée Bien que le monde se renverse, qui aura lieu du 28 mars au 8 avril 2017 à la galerie du Crous.
Une fois votre diplôme obtenu, votre pratique validée par un jury de professionnels, comment imaginez-vous votre avenir ? J’ai obtenu mon diplôme en juin, et l’échange avec le jury a été très constructif et m’a donné un bel élan pour continuer mon travail. J’ai envie avant tout de continuer d’approfondir et préciser et ouvrir ma démarche plastique, d’expérimenter et de réaliser de nouvelles pièces, tout en multipliant les résidences, expositions et rencontres. Dans un avenir proche, j’aimerais avoir la possibilité de réaliser, dans le cadre d’une résidence, un projet qui me tient à cœur : La pierre qui fait déborder le lac. Ce projet s’axera autour de recherches à partir d’un évènement précis : l’effondrement actuel d’une partie de la montagne dans le lac du Chambon, en Isère. Basé sur un ensemble de recherches, de discussions avec des scientifiques, de rencontre avec le paysage, ce projet se traduira par un ensemble de formes plastiques ( sculptures, installations, dessins, photos, vidéo, mais aussi textes ) qui formeront un tout : la tentative de rendre compte de ce paysage en péril.
Comment votre école s’implique t-elle dans l’avenir de ses élèves ? A-t-elle des cours, des ateliers qui vous prépare au côté administratif de la vie d’un artiste, à la diffusion de votre travail ? L’ENSAD peut avoir les défauts de ses qualités. Sa pluridisciplinarité qui est une vraie chance dans la pédagogie devient, dans le cadre de ces cours « juridiques », un peu handicapante. Ces cours survolent trop les différents statuts des différents designers et artistes que forme cette école. Mais l’ouverture de cette sixième année est la preuve que l’école a pour volonté de mieux accompagner ses diplômés, de manière à permettre une sortie plus progressive. Aussi, je garde de bons contacts avec un certain nombre de professeurs artistes, qui répondent volontiers à mes interrogations.
Comment pensez-vous que le concours La Convocation peut vous aider à “professionnaliser” votre pratique artistique ? Être finaliste de ce concours est une vraie chance ! Ces deux expositions à venir en avril et, mai donnent l’occasion de rencontrer différents professionnels du monde de l’art, des galeristes, les jurys, des curateurs, et de confronter notre travail aux contraintes et attentes de telles expositions, tout en rencontrant un nouveau public.
En tant qu’étudiant(e) en école d’art, quel est votre regard sur la scène artistique, le marché de l’art ? Je pense que Paris est une ville dynamique et riche pour la scène artistique, qu’elle offre différentes opportunités, et différents projets pour la jeune création. Ma participation a des expositions et projets plutôt en marge ne me permettent pas pour l’instant de me prononcer sur le marché de l’art.
Pensez-vous que votre pratique, votre démarche peut avoir sa place dans la scène artistique et le marché de l’art ? Avez-vous déjà pensé à une stratégie à adopter pour être visible ? Je l’espère ! Je participe à des expositions collectives qui me donnent l’occasion de présenter mon travail à de nouvelles personnes, c’est un cercle vertueux. Aussi, ma participation à différents prix et concours artistiques favorise la visibilité de mon travail.
Si les lecteurs de FranceFineArt étaient de futurs collectionneurs, institutions, musées, centres d’art, galeries, curateurs, résidences d’artistes, fondations d’entreprises, bourses de création, ect… que souhaitez-vous leurs dire pour titiller leurs esprits et leurs donner envie de découvrir votre travail ? J’aimerais simplement citer une phrase de Roberto Juarroz de son recueil de poèmes intitulé Poésie verticale :
« Une voûte pareille à une eau qui ne s’écoule pas bien que le verre se renverse, bien que le monde se renverse. »
Pour tout savoir sur le concours, retrouvez l’interview de Thomas Lapointe, co-fondateur de La Convocation : www.francefineart.com/index.php/chroniques/14-agenda/agenda-news/2160-101-chronique-anne-frederique-fer
Les prochains rendez-vous :
- du 25 au 29 avril 2017 avec une exposition collective sous la forme d'un parcours artistique à travers 5 lieux : galerie Laure Roynette, galerie Escougnou-Cetraro, galerie Pascaline Mulliez, Maëlle Galerie, Cité internationale des Arts.
- du 4 au 20 mai 2017 avec une exposition collective réunissant les 10 finalistes dans un même lieu, à Ourcq Blanc.
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