Du point de vue de notre histoire et de notre territoire, la France, où les institutions muséales ont reconnu la photographie depuis la fin des années 1970, début 1980, on s’interroge sur le 2 décembre 2017 comme date d’ouverture du premier musée public consacré entièrement à la photographie contemporaine en République populaire de Chine. De notre regard non-initié à ce pays, 2017 nous semble bien tardif mais au final au regard de l’histoire de la photographie et de sa reconnaissance, cela ne semble pas si incroyable.
Rappelons-nous ; la photographie est officiellement née en France en 1839. Si on regarde la place de la photographie dans le Panthéon des arts qui est l’Académie des Beaux-Arts, la section dédiée à la photographie est proclamée le 10 mai 2005 et le premier siège sera ouvert en 2006 avec Lucien Clergue. Du côté des institutions, les premiers musées dit nationaux qui lui consacreront un département, donc une collection, seront le musée d’Orsay inauguré en 1986, et le Centre Pompidou – musée national d’art moderne - qui ouvrira ses portes en 1977 et où il faudra attendre 2014 pour qu’un espace d’exposition soit entièrement dédié au médium. Pour rester à Paris, en 1978, Henry Chapier, Jean-Luc Monterosso, Marcel Landowski et Francis Balagna fondent Paris Audiovisuel association qui deviendra en 1996 la Maison Européenne de la photographie. Finalement, c’est en province, en 1972, à Chalon-sur-Saône, ville natale de Nicéphore Niépce inventeur de la photographie, que l’on verra naître le premier musée dédié entièrement au médium. Le musée Nicéphore-Niépce sera dirigé par Paul Jay de sa création à 1996, suivi par François Cheval qui le dirigera de cette date à décembre 2016.
Après cette petite histoire photographique du territoire français et pour revenir à la Chine, la seconde question est pourquoi le premier musée public de la photographie contemporaine est en co-direction avec François Cheval, un conservateur français. Par sa direction pendant 20 ans du musée Nicéphore-Niépce, on peut évoquer sa grande expertise dans l’univers muséal consacré à la photographie. Mais cette co-direction du Lianzhou Museum of Photography avec Duan Yuting, également directrice du Lianzhou Foto Festival, est lié à l’histoire de François Cheval avec la Chine et plus particulièrement à ce festival avec qui, depuis 10 ans, il a collaboré régulièrement. En 2016, pour la 12e édition du Lianzhou Foto Festival et avec l’exposition “As Entertaining As Possible”, il en est le directeur artistique.
Pour poursuivre sur le territoire de la République populaire de Chine, il ne faut pas se méprendre, ce pays n’a pas attendu 2017 pour reconnaître le médium de la photographie. La Chine compte de nombreux festivals dédiés à la photographie ainsi que des musées mais jusqu’à présent, ils étaient privés. Alors pourquoi Lianzhou est-elle la ville qui accueille le premier musée public de la photographie contemporaine ? Dans ce choix des autorités locales, on peut y voir, depuis 2005, le travail sans relâche réalisé par Duan Yuting et son équipe du Lianzhou Foto Festival qui ont fait de cette ville chinoise un lieu incontournable de la photographie contemporaine.
Pour connaître les finalités, les enjeux du Lianzhou Museum of Photography, de sa collection, de sa programmation inaugurale avant son ouverture prévue le 2 décembre 2017, j’ai rencontré François Cheval. Je vous invite donc à écouter l'entretien.
Anne-Frédérique Fer
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Textes de Duan Yuting et François Cheval, directeurs du Lianzhou Museum of Photography
Par Duan Yuting
En 2005, nous avons fondé un festival international de photographie à Lianzhou. Après treize ans, Lianzhou est devenu un modèle important pour la photographie contemporaine chinoise. Nous avons appris des autres et établi nos propres règles pour créer un festival de photographie chinois distinctif. Ici, la photographie chinoise a trouvé une plate-forme expérimentale et ouverte pour l'échange, et nous avons construit un moyen indépendant de nous engager avec la photographie d'ailleurs dans le monde.
Dès les premières années du festival de la photographie, des chercheurs, des experts et des conservateurs de la photographie, de l'art et des communautés intellectuelles ont préconisé la création d'archives photographiques à Lianzhou. L'intention initiale était qu'en plus de présenter des photographies au festival, nous devions mettre les archives à la disposition des chercheurs en photographie, car la Chine n'avait pas de musée de la photographie et manquait des conditions de base pour ce type de recherche académique.
À l'été 2013, François Cheval, directeur du musée Nicéphore Niépce, et moi-même avons pris des dispositions pour qu'une délégation du gouvernement de Lianzhou visite le musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône, en France. Lors de cette visite, les dirigeants du gouvernement municipal de Lianzhou ont finalement décidé de créer un musée de la photographie contemporaine à Lianzhou.
En 2014, lors de la dixième édition de Lianzhou Foto Festival, nous avons annoncé le lancement officiel du projet de musée de la photographie. Nous avons trouvé des concepteurs d'architecture ayant à la fois une expérience locale et des perspectives internationales; incorporant des traits de la géographie culturelle locale, ils ont fourni un plan architectural pour le musée qui combinait un esprit local avec des idées modernes.
Au cours des trois années de construction de 2015 à 2017, le musée de la photographie de Lianzhou a fait son apparition et s'est développé. Dans une petite ville de montagne en marge du delta de la rivière des “Perles”, nous avons dû surmonter des difficultés que nous n'aurions jamais pu imaginer en créant un musée moderne. Finalement, sur la plus ancienne rue existante de Lianzhou, Zhongshan Nan Road, nous avons réussi à construire un musée de la photographie qui est très contemporain dans l'architecture et l'arrière-plan académique. Selon les mots d'un urbaniste, ce choix a été un catalyseur pour le développement du quartier et de la vieille ville, ce qui a déclenché la revitalisation du vieux centre de Lianzhou, et à son tour conduire le développement de la ville entière. Après le festival de la photographie, la photographie peut encore aider Lianzhou, donnant un coup de pouce considérable à son développement économique et urbain. Si ce musée avait un but en dehors de la promotion de la photographie, ça pourrait être ça.
À l'avenir, nous exposerons, collectionnerons et étudierons la photographie chinoise et internationale au Musée de la photographie de Lianzhou, tout en développant une série d'échanges culturels internationaux. Bien sûr, le musée doit affronter le monde d'un point de vue académique, mais il fait avant tout partie du paysage culturel de Lianzhou. Nous construisons un espace culturel pour les résidents de Lianzhou, qui seront les principaux visiteurs du musée. Nous sommes certains que la photographie prendra racine et fleurira dans cette belle ville.
Par François Cheval
La mise en place du musée de la photographie de Lianzhou, dédié à la photographie contemporaine dans le prolongement d'un festival, est en effet un moyen d'assurer l'originalité et la modernité du projet. Le premier musée public de photographie contemporaine en République populaire de Chine a un atout majeur dans son festival de photographie.
En l'espace de douze ans, le festival est devenu une référence nationale et internationale pour tous ceux qui s'intéressent aux nouvelles tendances de la photographie chinoise. C'est ici, et nulle part ailleurs, que les meilleurs photographes de Chine se rencontrent, montrant une gamme d'œuvres étonnamment diverses. C'est ici, et nulle part ailleurs, que se mesure la qualité et l'originalité de leur travail. Si Lianzhou n'agissait que comme une vitrine, même excellente, de la photographie contemporaine chinoise, cela suffirait en soi. Mais, pour les fondateurs du festival, dont le but a toujours été de constituer un véritable musée, c'est seulement lorsque l'œuvre est confrontée à d'autres photographies, occidentales ou asiatiques, que le festival prend tout son sens.
L'ambition du Lianzhou Foto Festival a toujours été de fournir au public une éducation, une vision panoramique de ce qui se passe en photographie. L'autre enjeu majeur est d'offrir aux artistes la possibilité de saisir l'usage universel du média. Cette ambition a été assumée par le musée qui a l'intention de l'approfondir.
Le musée s'inscrit dans la continuité d'un événement majeur qui a su, au fil du temps, se faire une véritable place dans le monde photographique grâce à sa propre ouverture et à l'adhésion de la profession. Il a maintenant l'intention de constituer une collection représentative de la créativité photographique du monde entier. Éduquer les gens sur la photographie n'est pas une prétention vaine à faire quand la modernité chinoise a absolument pris en compte la nécessité d'inclure et de comprendre la nature de l'image mécanique.
Néanmoins, nous - initiateurs du projet - sommes conscients de l'ambiguïté de cet «art» et le musée se veut une alternative à la consommation surchauffée et à la superficialité. L'architecture du lieu représente une fusion entre modernité et tradition. L'équipe qui dirigera le musée est un exemple de dialogue en soi. La collecte et la programmation seront basées sur une tentative permanente de partage, d'échange. L'identité de l'institution, sa personnalité, sont aussi basées sur ses racines locales, sur la forte intention du musée de devenir une vitrine pour la région, et peut-être, au final, de participer à sa redéfinition. Il ne perdra jamais le contact car il sera toujours nourri par les événements, fertilisé par de nouvelles entrées. Il répondra à un public qui a soif d'autres images et émotions, de toutes sources.
Ce musée trouvera sa place dans la politique culturelle du pays et dans le monde de la photographie grâce à sa capacité à produire l'inédit et son refus de se conformer à une vision iconique de la photographie pour, au contraire, soutenir tous les types d’expérience.
Le musée – sa géolocalisation, sa construction.
Le musée de la photographie de Lianzhou (LMP) est situé sur Zhongshan Nan Road dans la vieille ville de Lianzhou, reliant la route Zhongshan Bei, la route Jianguo et la route Chenghuang. En général, cette zone ressemble à ce qu'elle était à l'époque républicaine, restant relativement intacte en tant que quartier historique et culturel. Ces dernières années, les vieilles rues de la vieille ville ont contrasté avec le développement urbain moderne. La construction du musée est la clé et le moteur du rajeunissement de la vieille ville de Lianzhou, mais c'est aussi un symbole important et un jalon dans le développement de la ville.
Conçu par O-office Architects, une jeune agence d'architecture basée à Guangzhou, l'architecture de LMP est composée de deux bâtiments imbriqués, un ancien et un nouveau. Le concept de design est ancré dans le contexte urbain du vieux Lianzhou. La forme du nouveau bâtiment se fond parfaitement avec la texture urbaine du vieux Lianzhou. Inspiré par les «grandes maisons de style Lianzhou» de la vieille ville, trois plans inclinés continus couvrent le bâtiment; ils créent des variations verticales dans l'espace intérieur et forment un contraste avec le vieux bâtiment à toit plat de trois étages adjacent. La façade prolonge le toit continu sur la rue, transformant l'ensemble du nouveau bâtiment en toit pour cette «grande maison». En conséquence, les expositions et les événements publics se déroulent tous sous le même toit. Un jardin sur le toit et un théâtre en plein air relient les bâtiments anciens et nouveaux du musée, et l'espace entre les bâtiments est complètement ouvert au public, devenant une partie du tissu urbain.
Après avoir étudié les matériaux architecturaux locaux et les méthodes de construction de Lianzhou, les architectes ont proposé d'utiliser de nombreux matériaux locaux, notamment du gravier foncé, des tôles d'acier, des murs en briques légères et des carreaux verts. Les tuiles vertes sur le toit continu du nouveau bâtiment sont le seul contact décoratif, et l'arrangement des tuiles produit une texture riche. Contrairement à la façon dont ces carreaux sont posés sur des toits à l'ancienne, la construction du nouveau bâtiment a conservé certains espaces entre les dalles vertes pour permettre la circulation de l'air entre la cour intérieure et l'extérieur, une méthode de construction unique adaptée au climat local. En plus d'utiliser pleinement la largeur et la hauteur du site pour contrôler la lumière directe du soleil, les architectes ont utilisé un certain nombre de techniques architecturales dans la cour intérieure et la construction sur pilotis pour réduire la consommation d'énergie. L'installation d'un système de climatisation à climat partagé pour différents espaces fonctionnels réduit la consommation d'énergie du musée et garantit une flexibilité pour une utilisation ultérieure.
Les visiteurs peuvent utiliser les escaliers, les deux ascenseurs, les sentiers en pente ou d'autres moyens de transport verticaux pour explorer l'espace intérieur du musée, qui est à la fois une cour tridimensionnelle et une ville miniature. La vie urbaine et les événements artistiques se rejoignent ici; LMP est le meilleur espace de la photographie chinoise pour l'exposition et la collection, mais c'est aussi un espace public urbain pour les événements locaux et la culture.
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