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“Corot” Le peintre et ses modèles
au musée Marmottan Monet, Paris

du 8 février au 8 juillet 2018 (prolongée jusqu'au 22 juillet 2018)



www.marmottan.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 7 février 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Jean-Baptiste Camille Corot, La Moissonneuse tenant sa faucille, la tête appuyée sur la main, 1838. Huile sur toile. 35,3 x 27 cm. Legs de William A. Coolidge, 1993.36. Boston, Boston Museum of Fine Arts – Photograph © 2018 Museum of Fine Arts, Boston.
2/  Jean-Baptiste Camille Corot, Bacchante à la panthère, vers 1855-1860. Huile sur toile. 54,6 x 95,3 cm. Don anonyme, en mémoire de Harry Payne Bingham Shelburne (Vermont), Shelburne Museum. © Collection of Shelburne Museum, Shelburne, Vermont, anonymous gift, in memory of Harry Payne Bingham, inv. 1993-30 (27.1.1-226).
3/  Jean-Baptiste Camille Corot, Haydée. Jeune femme en costume grec (titre peut-être inspiré par l’héroïne du Don Juan de Byron), vers 1870-1872. Huile sur toile. 60 x 44 cm. Donation de la baronne Eva Gebhard-Gourgaud, 1965. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux.

 


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Interview de Sébastien Allard,
directeur du département des Peintures du musée du Louvre et commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 7 février 2018, durée 16'20". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Il y a le sentiment d'un privilège à voir ces toiles que Corot gardait jalousement dans son atelier, refusant de les exposer ou de les vendre sinon à quelques proches et amis. C'est dans cet espace intime, à l'abri du regard et du jugement, que le peintre crée une relation avec son modèle, tantôt par la pose, tantôt en le laissant déambuler librement dans l'atelier pour laisser sa présence et son caractère s'imprimer dans sa mémoire.

Ses portraits s'ancrent dans une immobilité silencieuse, un espace calme vidant l'espace, le nettoyant pour le laisser vierge, libre de se remplir de la respiration du modèle. Le sujet qu'il peint se pose, s'assoit et, des traits du visage aux plis du vêtement, sa personnalité vient imprimer toute la surface, se met en scène dans la composition, définit la nature même du décor et de son traitement.

Louise Harduin assise sur un talus a posé son chapeau de côté, son épais manteau ne parvient pas à cacher l'inconfort de son assise, ses pieds l'un contre l'autre trahissant sa vulnérabilité. L'ombrelle qu'elle serre fortement de sa main se dissout en plis chiffonnées, n'offrant aucune protection contre le regard du peintre. Qu'ils soient nus ou habillés, les sujets de ces portraits sont déshabillés par Corot. Leur regard ne ment pas, il s'y lit la conscience de l'impudeur, le courage qu'il a fallu rassembler pour s'offrir ainsi.

La peinture plonge ses racines dans le classicisme : la liseuse couronnée de fleurs au pied de madone dépassant de sous sa robe bleue est encadrée par des arbres évoquant l'art de la Renaissance. L'italienne figée dans une profonde méditation porte une robe jaune à rubans bleus comme le font ses sœurs chez Vermeer. Des visages toscans nous défient de percer leur mystère Botticellien. Et sur cette base Corot s'enhardit dans une modernité insolente. Des petits traits rouges saupoudrés pour rendre le dessin d'un tissu folklorique raccourcissent jusqu'au point impressionniste. Ces petites touches se font aussi discrètes, interventions minimalistes presque abstraites pour traiter un fond végétal liquéfié dans une brume grise, ou s'alourdissent dans une obscurité de terre brûlée comme chez Delacroix.

La lumière est puissante, tranchante comme une lame qui sépare le clair de l'obscur. Ce contraste implacable révèle tout, creuse la moindre aspérité, dénude le visage et donc l'âme en lui arrachant son dernier voile, son dernier maquillage. Les fourrures de fauves sur lesquelles les bacchantes s'alanguissent nous rappellent que la sauvagerie n'a pas été vaincue par la beauté, elle a juste été domestiquée. Autour des corps, les couleurs pâlissent, s'estompent, la mer se fond dans la plage, la ligne d'horizon disparait dans un sfumato de vapeur lumineuse. De Zingara au tambour basque à la Mélancolie, Corot passe d'une délicatesse poudrée de pastel à une gestualité furieuse et minimaliste, peignant comme on sculpte à grands coups de burin.

C'est dans cet espace intime qu'il expérimente, questionne les conventions, cherchant au-delà de la matière et du geste à percer la carapace humaine, à révéler les caractères. L'habit n'a pas la superficialité de son étoffe, il participe plus à montrer qu'à recouvrir. Cette galerie de portraits est une exploration de l'humanité dans toutes ses facettes. Elle ressemble à La comédie humaine de Balzac dans son intemporalité et dans les leçon qu'elle nous donne sur notre propre époque.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Sébastien Allard, Conservateur général du patrimoine, directeur du département des Peintures du musée du Louvre.
[Une exposition organisée en collaboration avec le musée du Louvre]




Placée sous le commissariat de Sébastien Allard, conservateur général du patrimoine et directeur du département des Peintures du musée du Louvre, l’exposition « Corot. Le peintre et ses modèles » est la première manifestation parisienne dédiée à l’artiste depuis la grande rétrospective du Grand Palais organisée en 1996. Présentée au musée Marmottan Monet du 8 février au 8 juillet 2018, l’exposition réunit un ensemble exceptionnel de peintures de figures et célèbre la part la plus personnelle, la plus secrète mais aussi la plus moderne de la production de l’artiste.

Connu avant tout pour ses paysages et ses études sur le motif qui ouvrent la voie à la modernité des impressionnistes, Camille Corot fut aussi un peintre de figures. Le maître, cependant, garda cette partie de sa production dans le secret de son atelier ; c’est à peine si ses oeuvres se diffusèrent, de son vivant, auprès de quelques amis, marchands ou collectionneurs.

L’exposition rassemble une soixantaine de ces figures provenant des plus prestigieuses collections publiques et privées d’Europe et des Etats-Unis (musée du Louvre, National Gallery de Londres, Metropolitan Museum de New York, National Gallery of Art de Washington, Kunsthalle de Hambourg, Belvedere de Vienne, Fondation Collection E. G. Bhrle de Zurich…), et entend rouvrir ce dossier encore trop peu connu. De grands chefs-d’oeuvre sont présentés comme la célèbre Femme à la perle, la Dame en bleu du Louvre ou l’impressionnante Italienne de Londres, autrefois dans la collection du peintre Lucian Freud, mais aussi des oeuvres, tout aussi éblouissantes, mais rarement vues, comme certains de ses nus.

Il s’agit là de la part la plus intime de la production de cet artiste mondialement célébré pour ses paysages. L’exposition propose de découvrir les portraits qu’il fit de ses proches, et surtout le secret de son atelier où posèrent les modèles les plus fameux de l’époque (comme Emma Dobigny), les mêmes que ceux qui travaillaient, au même moment, pour Manet ou Degas. Car Corot, contemporain de Delacroix, est d’une génération antérieure à celle de la « nouvelle peinture », initiée par Degas et Manet ; c’est avec ses figures, plus qu’avec ses paysages qu’autour de 1850-60, qu’il entre en dialogue avec eux, comme le montre la Dame en bleu. L’exposition entend mettre en évidence le rôle essentiel que joue les figures de Corot dans l’émergence de la peinture moderne, notamment dans la question qu’il pose avec une forme de réalisme et le rôle du modèle.

Elle entend aussi montrer la diversité et la versatilité de la production en ce domaine. Si ses variations autour du thème de l’Italienne ou de la Grecque, de la Femme lisant ou de la Femme à la fontaine font entrer le spectateur dans un univers poétique d’une insaisissable mélancolie, qui sait aujourd’hui que Corot a exécuté des magnifiques et spectaculaires nus, certains animés d’une étrangeté quasi surréaliste comme La Bacchante à la panthère du musée de Shelburne ? Si son univers se construit autour de la figure féminine qu’il magnifie, notamment dans les monumentales effigies de la fin de sa vie, l’homme n’est pas absent, dans les séries qui sont présentées elles-aussi, des moines lisant ou faisant de la musique et des hommes en armures.

Cette exposition, qui met au jour le moment de basculement entre romantisme et réalisme, entre romantisme et impressionnisme, apporte un éclairage nouveau sur l’un des génies de la peinture française du xixe siècle, trop facilement réduit à son activité de paysagiste.






Parcours de l’exposition

Avant tout connu comme paysagiste, Camille Corot (1796-1875) fut aussi un exceptionnel peintre de figures, que Degas admirait. Si ses célèbres paysages sont peuplés d’hommes et de femmes, parfois de déesses et de nymphes ou de satyres, les tableaux dont le sujet principal est une figure humaine représentent une part quantitativement importante de son oeuvre. Pourtant, elle ne fut découverte que très tardivement par le public : à la vente après décès de l’artiste en 1875 et surtout lors d’une exposition qui, en 1909, lui fut consacrée, suscitant l’enthousiasme de Braque, de Derain et de Picasso. Corot s’est presque toujours montré réticent à diffuser cette production, qu’il gardait jalousement dans son atelier et n’acceptait guère de céder ou de vendre qu’à un cercle restreint d’amateurs ou de proches. Alors qu’il fut, avec son contemporain Delacroix, l’un des piliers du Salon jusqu’à la fin de sa vie, il n’y exposa que quatre figures isolées. Car il s’agit bien là d’une part de son travail qu’il considérait comme expérimentale et que nous tenons aujourd’hui pour l’une des plus originales. Dans les petites effigies de famille destinées, dans les années 1820, à servir de cadeaux, dans les études de moines ou de paysannes exécutées dans les années 1830 en Italie ou dans les monumentaux nus ou figures à mi-corps des années 1860-70, se lisent les ambitions et les hésitations d’un paysagiste qui sait, qu’en son temps, la représentation humaine constitue le sommet de la hiérarchie des genres. C’est aussi la raison pour laquelle une grande part de la modernité de Corot réside dans ses figures, notamment celles peintes dans les années 1870 où, alors âgé et reconnu, il cherche, une fois encore, à se renouveler au contact d’une nouvelle génération d’artistes, celle d’un Degas ou d’un Manet.


Corot et le portrait : un moment d’intimité
Corot n’a pratiqué le genre du portrait qu’occasionnellement au cours de sa longue carrière. L’essentiel de cette production se concentre dans les années 1830 ; il exécute alors de petites effigies de ses proches, destinées à rester dans le cadre intime : des membres de sa famille comme sa mère, ses nièces, les soeurs Sennegon, des amis comme le peintre François Auguste Biard, ou les enfants de ces derniers. Cette occupation était pour lui l’occasion de se perfectionner dans la représentation de la figure humaine. Le portrait de Claire Sennegon comme celui de Louise Harduin affichent une réelle ambition artistique dans la fusion de la figure et du paysage. Mais c’est dans le portrait d’enfants que son originalité apparaît avec le plus d’évidence. Détaché des influences qui s’exercent sur lui, dont celle de son confrère Jean-Auguste- Dominique Ingres, il propose une vision volontairement abrupte. En même temps qu’il décrit leur socialisation par les jouets ou les costumes, il leur redonne à ces petits êtres leur opacité que ce soit par leur indétermination psychologique ou par une manière de peindre « naïve ».


Figures italiennes : Marietta
Comme tout peintre de paysage de son époque, Corot s’est rendu en Italie pour parachever sa formation commencée dans l’atelier d’Achille-Etna Michallon. Il y effectue deux voyages : le premier en 1825-28 à Rome, Naples et Venise ; le second, en 1834, le porte surtout en Toscane. Au cours de ces séjours, il exécute de brillantes études de personnages « pittoresques » d’une extraordinaire fraîcheur, bien souvent pris sur le vif. Ces études qu’il gardera accrochées dans son atelier jusqu’à sa mort forment non seulement un répertoire de figures destinées à animer ses paysages, mais aussi, comme Le Moine italien, assis, lisant, le fondement de variations qu’il peindra des années plus tard. Parmi les études italiennes, Marietta, du nom de son modèle, constitue son chef-d’oeuvre. Le nu, genre noble par excellence, est d’une modernité étonnante : la pose s’inspire de la Grande Odalisque d’Ingres, mais Corot insiste sur la présence physique de la femme qui pose, offerte et distante à la fois. Très fier de sa composition, il s’en souviendra vingt ans plus tard lorsqu’il entreprendra une série de nus couchés dans un paysage.


Autour du modèle
À partir de la fin des années 1830 et surtout des années 1840, la présence de la figure isolée se fait plus insistante dans la production « privée » de Corot, au moment où son ambition dans le genre du paysage historique s’affirme. Conscient probablement de l’insuffisance de sa formation en ce domaine, il aspire à un équilibre plus grand du paysage et de la figure, auquel il parviendra, en 1859, avec ses nus et en particulier La Toilette (collection particulière) exposée au salon de 1859. Pour le moment, il exécute un petit groupe de figures où, contrairement aux petits portraits, s’affirme la présence d’un modèle plus ou moins professionnel. Si dans beaucoup de cas un rapport de soumission s’installe entre le peintre et son modèle, dans La Moissonneuse, apparaît une forme d’empathie. La Blonde Gasconne impose, au contraire, une impérieuse présence, à la fois sensuelle et digne.


Emma Dobigny
La « semaine du modèle » était pour Corot, paysagiste avant tout, sa récréation favorite. L’atelier accueillait alors des Italiennes ou des jeunes femmes du Faubourg-Poissonnière, qui pouvaient bouger. Les visiteurs s’en étonnaient. Corot avait une conception particulière du rôle du modèle : il désirait « un modèle qui remue ». Le souvenir lui permettant de retrouver un part d’idéal, le mouvement apparaissait comme un moyen d’échapper au prosaïsme de la pose qu’on copie. La jeune Emma Dobigny, qui posa aussi pour Edgar Degas ou Puvis de Chavannes, était l’un de ses modèles préférés. Les trois tableaux exposés, inspirés par elle, permettent de comprendre le processus idéalisant qui transforme le modèle qui pose en figure. Si ses traits ne sont guère précisément dépeints dans la Jeune Fille Grecque à la fontaine et Haydée, en revanche, on la reconnaît dans La Jeune Grecque – plus tardive –, malgré un travestissement identique. À la fin des années 1860, les figures de Corot, probablement au contact de la nouvelle peinture, gagnent en monumentalité et la personnalité des modèles transparaît, comme ici, plus évidemment.


Variations poétiques : italiennes, liseuses et femmes à la fontaine
À partir de la fin des années 1850, Corot multiplie les variations autour de la figure, affirmant le rapport ambigu qu’il entretient avec le modèle. L’artiste a besoin d’avoir une femme ou, bien plus rarement, un homme qui pose pour créer, mais en même temps, dans l’oeuvre finie, bien souvent, il en efface ses traits les plus saillants pour la (ou le) transformer en « type », si bien qu’elle (ou il) n’est plus reconnaissable. Ces types renvoient, pour la plupart, à une mémoire artistique : la femme à la fontaine rappelle à la fois Raphaël et Poussin, la liseuse la peinture hollandaise du XVIIe siècle et la peinture française du XVIIIe siècle, la joueuse de luth les peintres caravagesques… Se constituent ainsi des séries, qui en général n’ont pas été destinées à être diffusées : les femmes à la fontaine, les liseuses, les joueuses de luth ou de tambourin, les moines, les hommes en armure… Le plus souvent, Corot costume ses figures soit de vêtements italiens, souvenirs de ses voyages passés, soit de costumes grecs, mais en éliminant le pittoresque de ses précédentes figures d’études. Par ces variations poétiques, Corot entend réagir à l’affirmation, à partir des années 1850, du réalisme, illustré par Gustave Courbet.


Figures à mi-corps : se renouveler à 70 ans
Dans les dernières années de sa carrière, les figures de Corot gagnent en liberté et en ambition. Un changement d’échelle donne à ces femmes peintes à mi-corps une monumentalité inédite. L’usage de la couleur s’y fait plus audacieux, au moment où ses paysages, au contraire, se parent de teintes gris argenté. Les détails ou les accessoires, identique à ceux de ses plus petites figures, sont soumis à l’intensité chromatique ou lumineuse de la toile. Dans L’Italienne, ce pouvoir expressif de la couleur fait disparaître tout pittoresque au profit de la sensation et affirme une certaine autonomie de l’ordre pictural. Dans La Lecture interrompue, c’est la rigueur géométrique de la forme, où les masses s’équilibrent et l’abstraction de la couleur qui jouent ce rôle. Beaucoup de ces oeuvres, sont restées inachevées ; cela trahit, chez cet homme de 70 ans, une volonté de renouveler son inspiration, au contact de la nouvelle peinture, représentée, entre autres, par Édouard Manet ou Edgar Degas, dont il partageait certains modèles.


Moines : la fusion de l’homme et de la nature
Si la plupart des figures peintes par Corot sont féminines, le thème du moine l’occupe du milieu des années 1850 jusqu’à sa mort en 1875 ; avec les hommes en armure, il constitue une exception. Cette iconographie trouve ses racines dans les moines peints, autrefois, durant ses voyages en Italie. Dans ces tableaux, empreints d’une gravité silencieuse, le moine s’est délibérément mis à l’écart du monde ; absorbé dans sa lecture, il célèbre l’union perdue de l’homme et de la nature. À la différence des Italiennes, où Corot expérimente le pouvoir expressif de la couleur, les moines – pour beaucoup des chartreux – sont peints dans une symphonie de blancs, de gris et d’ocres. Contrairement aux femmes lisant, caractérisées par une forme de rêverie poétique, les moines acquièrent une monumentalité et une densité par le travail sur les masses et la réduction de la gamme chromatique. Le Moine au violoncelle, isolé dans un intérieur, constitue l’une des ultimes oeuvres peintes par le maître peu avant sa mort.


Les nus : souvenirs vénitiens à l’heure du réalisme
À partir du milieu des années 1850, le nu devient la grande affaire de Corot. S’il n’expose qu’à quatre reprises des figures au Salon, deux sont des nus : La Toilette (collection particulière), en 1859, et Le Repos en 1861. Avec cette insistance sur le nu, alors qu’il est parvenu au sommet de son art, mais que sa notoriété commence à décliner, Corot cherche à donner une nouvelle orientation à sa carrière et à s’affirmer comme un peintre plus complet que son statut de paysagiste ne le laissait croire à l’opinion publique. Corot s’inspire non seulement d’Ingres pour la pose, comme dans son étude Marietta, mais aussi des peintres vénitiens, comme Giorgione ou Titien. Le Concert champêtre ou La Vénus du Pardo de Titien (Paris, musée du Louvre) connaissaient alors un grand succès non seulement chez les maîtres âgés, comme Corot, mais aussi parmi la jeune génération, comme Manet (copie au musée Marmottan Monet). En effet, Giorgione et Titien paraissaient avoir réalisé la fusion harmonieuse de la figure et du paysage, de l’idéal et du réalisme. Dans ses nus, étonnamment, Corot n’idéalise pas le modèle, manifestant, surtout dans Le Repos, une forme de réalisme qui heurte les contemporains, où il introduit, comme dans La Bacchante à la panthère, une inattendue note d’érotisme. Les nus constituent l’une des parties les plus originales de sa production de figures, quasi contemporaines du Déjeuner sur l’Herbe de Manet, daté de 1863.


Les ateliers : une réflexion sur l’art du peintre
Le sujet de l’atelier, où l’artiste met en scène son métier, est un lieu commun de la peinture du XIXe siècle. Corot, à la fin de sa carrière, traite ce thème à de nombreuses reprises, introduisant, à chaque fois, de subtiles variations dans une composition qui se répète : un modèle féminin, généralement vêtu en Italienne, est assis sur une chaise et contemple un paysage posé sur un chevalet ; sur le mur, on peut quelquefois reconnaître des études du maître, parfois exécutées en Italie. C’est que, derrière l’apparent réalisme de la représentation de son lieu de travail, Corot livre une méditation poétique sur son art. S’y trouvent en effet réunis les grands pôles de sa création : le paysage dans sa double essence (étude sur le motif et tableau achevé) et la figure, avec ce qu’elle a d’artificiel et de mise en scène. Corot y affirme sa conception d’un art qui, s’il se fonde sur une observation attentive du réel, est avant tout le fruit de l’imagination. L’atelier est le lieu de la fabrique du tableau, mais aussi le conservatoire du souvenir, à mi-chemin entre les expériences antérieures du plein air et l’agitation du Salon à venir.


Un catalogue coédité par le musée Marmottan Monet et les éditions Hazan, sous la direction de Sébastien Allard, Conservateur général du patrimoine, directeur du département des Peintures du musée du Louvre, accompagne l’exposition.