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“La Biennale di Venezia” 58th International Art Exhibition (May You Live In Interesting Times)
à Venise (Giardini & Arsenale)

du 11 mai au 24 novembre 2019



www.labiennale.org

 

© Liyu Yeo, journées professionnelles de la Biennale de Venise, les 8, 9 et 10 mai 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Joël Andrianomearisoa, I have forgotten the night. Pavilion of MADAGASCAR, 58th International Art Exhibition - La Biennale di Venezia, MayYou Live In Interesting Times. Photo by Italo Rondinella. Courtesy: La Biennale di Venezia.
2/  Laure Prouvost, Deep see blue surrounding you / Vois ce bleu profond te fondre. Pavilion of France, 58th International Art Exhibition - La Biennale di Venezia, MayYou Live In Interesting Times. Photo by Francesco Galli. Courtesy: La Biennale di Venezia.
3/  Yin Xiuzhen, Various works, 2012-2017, Mixed media. 58th International Art Exhibition - La Biennale di Venezia, MayYou Live In Interesting Times. Photo by Italo Rondinella. Courtesy: La Biennale di Venezia.

 


texte de Liyu Yeo, rédacteur pour FranceFineArt.

 

La 58e biennale internationale de Venise est un évènement majeur de l’art contemporain. Le monde de l’art effectue ce pèlerinage bisannuel pour célébrer les artistes. C’est un point culminant de leurs carrières s’ils sont choisis pour représenter leur pays dans les pavillons nationaux ou dans les expositions internationales. Les endroits éminents étant les expositions internationales dans les Giardini, où la plupart des pays ont leurs pavillons, ou bien à l’Arsenal. C’est toujours un projet très ambitieux de présenter le meilleur de l’art contemporain et partout dans Venise, des lieux spectaculaires et historiques abritent des expositions.

Cette année, l’exposition internationale est intitulée May you live in interesting time (Puissiez vous vivre à une époque intéressante), et le commissaire Ralph Rugoff a dès le début expliqué qu’il ne cherchait pas à pontifier, c'est ce à quoi le visiteur doit s'attendre, de même le titre de l’exposition induit un monde embourbé d’incertitudes. Dans les deux lieux d’expositions Ralph Rugoff présente les mêmes artistes, une approche originale qui fonctionne bien. Tandis que dans le pavillon central des Giardini, l’exposition semble plus chaotique, comme une mauvaise foire d’art contemporain, l’exposition dans l’Arsenal est très convaincante.



L’espace de l’Arsenal englobe, la majorité des sujets qui nous préoccupe aujourd’hui. Des sujets de société comme la pauvreté et la violence urbaine, à l’état précaire de notre environnement, cela inclus aussi nos relations ambivalentes avec le monde virtuel. Nous avons le sentiment que l’exposition touche tous les signes de notre époque d’incertitude.

Le visiteur est accueilli par une grande peinture monochrome de George Condo inspirée du Double Elvis d’Andy Warhol. Mais ici les visages de Condo sont grotesques à la différence d’un Elvis héroïque dans son costume de cow-boy. Les deux portraits de Condo se font face tenant une bouteille plutôt que de se confronter au spectateur. Œuvre imposante par sa taille et les silhouettes, les personnages jumeaux apparaissent étrangement phallique. C’est une déclaration d’ouverture très forte, comme pour suggérer le trop plein de testostérone en jeux. L’art imite la vie.

Les exclus de la société occupent une place privilégiée dans cette exposition internationale. L’artiste indien Soham Gupta a produit une spectaculaire série de portraits en couleur des déshérités de Calcutta. L’artiste a passé beaucoup de temps avec chacune des personnes qu’il a photographiées. Les photos devenant un travail d’équipe où le sujet participe et choisi sa propre pose. Le résultat est une série d’œuvres intimes. Les photos permettent de voir au-delà de l’extrême pauvreté des âmes dévoilées.

L’artiste chinois Yin Xiuzhen explore l’anxiété de ceux qui n’arrivent pas à confronter le rythme infernal d’un monde globalisé. En se servant de vêtements usagés, Yin a créé deux sculptures monumentales. L’une en forme de la roue avant inversée d’un Airbus. L’autre est un passager aérien s’arc-boutant comme s’il se préparait à un atterrissage d’urgence. Yin fait référence aux dommages collatéraux d’un monde basé sur le développement économique.

La peinture semble faire un réel retour dans cette biennale, avec des expressions et des thèmes variés. Cependant le fil conducteur semble être la fausse représentation des apparences. Les peintures de Jill Mulleady, un artiste uruguayen, sont exposées spectaculairement comme des affiches très colorées. Les toiles sont incluses dans le mur pour créer l’effet d’une frise. Mulleady tire son inspiration de la culture populaire, d’évènements quotidiens et de scènes imaginaires. Elle décrit un monde criblé par la dégradation sociale et défiguré par la violence urbaine.

De la même manière, l’artiste kenyan Micheal Armitage a suivi un groupe de photographes couvrants la campagne politique des élections générales au Kenya, les fanfares et le cirque autour l'ont inspiré. Il en peint des séries de paysages pittoresques et colorés. Cependant c’est plutôt un trompe l’œil où sont intégrés des personnages mystérieux et parfois de mauvaises augures, suggérant des éléments inconnus dans le paysage. En se rapprochant quelques personnages semblent maintenus cachés comme pour prévenir d'un danger dans ce paradis luxuriant.

C’est un contraste frappant avec les dernières toiles de Julie Mehretu réalisées avec une peinture aérosol et à la composition trompeusement spontanée. L’artiste dessine une sorte d'écriture calligraphique, ajoutée puis effacée, laissant par les multiples couches leurs traces sur la toile. Le résultat est la représentation poétique d’un chaos organisé.

L’artiste américaine Avery Singer donne une approche originale à son exercice. Elle utilise un logiciel 3D pour créer une composition complexe avant de la projeter sur une toile à l’aide d’un Aérographe. Dans sa peinture autoportrait, l’artiste se représente elle-même, comme immergée dans un monde digital d’une façon inattendue. L’artiste peint un gros plan de ses doigts décomposés comme sur le mur d’une douche embuée. Ce geste faisant aussi allusion à celui qu’elle fait en glissant ses doigts sur son téléphone.

La biennale présente aussi plusieurs vidéos très fortes. L’installation vidéo de Hito Steryerl, This is the future (C’est ça le futur) présente une prévision surréaliste de notre futur. Le spectateur entre dans un labyrinthe cinématographique ponctué d’écrans plasma montrant des plantes aquatiques sensuelles. Sur l’écran principal, une voix féminine hypnotique accompagne l’épanouissement d’une fleur digitale avant son flétrissement. À l’aide de l’intelligence artificielle l’artiste représente un habitat où l’expérience de la nature passe par la technologie.

L’exposition internationale à l’Arsenal frappe là où il faut sans aucun sermon. L’abondant contenu intellectuel ne perd de vue aucun aspect émotionnel. Le succès du commissariat de Ralph Rugoff tient à ce qu’il est parfaitement en accord avec ces temps chaotiques où rien n’est ce qu’il semble être. Les multiples travaux des artistes en font un ensemble symphonique harmonieux.

Le Ghana et Madagascar sont présents pour la première fois à la biennale. Le pavillon Ghanéen très applaudi, liberté ghanéenne, présente de grandes installations de El Anatsui et Ibrahim Mahama, des portraits photographiques de Felicia Abban, des peintures figuratives de Lynette Yiadom-Boakye, un film de John Akomfrah et une sculpture vidéo de Selasi Awusi Sosu. Dessiné par l’architecte David Adjeve en s’inspirant des maisons de terre traditionnelle, le pavillon est un des plus réussi de l’Arsenal.

Pour le pavillon Malgache, l’artiste Joël Andrianomearisoa a créé une installation à l’aide de papier noir froissé faisant référence à la vie, la nuit, l’architecture et les légendes populaires.



Dans les Giardini, le pavillon français est représenté par Laure Prouvost, artiste française habitant à Londres, qui a réalisé une vidéo onirique sur un voyage de Paris à Venise. Deep See Blue Surrounding You / Vois ce bleu profond te fondre, la vidéo et l’installation sont un voyage personnel enchanté. Les visiteurs se faufilent à l’arrière du pavillon à travers une entrée de service dans un sous-sol rempli de terre. L’artiste prétend avoir voulu creuser un tunnel vers le pavillon anglais. Basée à Londres depuis 18 ans, c’est son geste politique envers le Brexit. En haut des marches, on est accueilli par une installation très éclairée où sont incrustés dans le sol des déchets et des pigeons hypnotisés. La salle de projection est organisée comme si nous étions à l’intérieur d’un poulpe. L’artiste, qui a reçu le prix Turner, nous invite dans son univers mystique. Filmé, en partie, avec un iPhone, le voyage commence à Croix, ville de naissance de Laure Prouvost et traverse la France avant d’arriver au pavillon français de Venise. Le film est en français, en anglais et en arabe, peut-être pour refléter l’aspiration de l’artiste à une camaraderie et à une unité, face à tant de chaos et de calamité.

Le pavillon coréen présente, lui, les vidéos de trois femmes ayant chacune leur propre langage. Hwayeon Nam explore le legs d’une danseuse du XX eme siècle, Choi Seung-hee qui devint la première danseuse de renommée internationale et dont la chorégraphie s’inspire des traditions et des danses bouddhistes. Jane Jin Kaisen dresse un portrait émouvant de femmes chamans pendant la guerre de Corée et plus particulièrement sur le massacre dans l’île de Jeju, et comment les traditions de chamanismes, longtemps tabou, ont aidées à panser les blessures et à la réconciliation. Depuis plus de dix ans, Siren Run Young Jung s’est penché sur le rôle des études de genre. Ses deux vidéos tentent d’explorer leurs rôles dans la société coréenne d’hier et d’aujourd’hui.

Au milieu de toute l’excitation propre à la biennale, certaines interventions nous font réfléchir à ce monde troublé. Au milieu des Giardini où se forment de longues queues devant les pavillons star. Le pavillon vénézuélien, bâti en son temps par le grand architecte Scarpa est étrangement déserté et vide. Les vénézuéliens ont d’autres priorités que d’envoyer des artistes à Venise et leur pavillon vide devient une installation contrastant avec l’agitation environnante des pavillons voisins.

Dans l’Arsenal, un grand bateau est exposé à la curiosité des visiteurs par l’artiste suisse Christoph Burkel. C’est le bateau de pêche, qui bourré de migrants, a sombré à l’approche des secours en noyant près d’un millier d’individus en 2015. Cete épave est la preuve visible de ces drames quotidiens en Méditerranée. Est ce l’art qui imite la vie ou le contraire ? Des interventions comme celle-ci, symptomatique du titre de la biennale, nous laisserons quitter Venise en étant plus conscient de l’état du monde.

Liyu Yeo