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“Ker-Xavier Roussel” Jardin privé, jardin rêvé
au musée des impressionnismes, Giverny

du 27 juillet au 11 novembre 2019



www.mdig.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 26 juillet 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Ker-Xavier Roussel (1867-1944), Eurydice mordue par un serpent, vers 1913. Huile sur toile, 113 x 161 cm. Collection particulière. © Tous droits réservés / Photo : Patrice Schmidt.
2/  Ker-Xavier Roussel (1867-1944), Clair de lune sur la mer, 1941. Pastel sur papier, 14 x 21 cm. Collection particulière. © Tous droits réservés / Photo : Anne Claude Barbier.
3/  Ker-Xavier Roussel (1867-1944), Paysage aux arbres jaunes, vers 1893-1895 . Fusain et pastel sur papier calque, 23,5 x 35,5 cm . Collection particulière. © Tous droits réservés / Photo : Anne-Claude Barbier.

 


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Interview de Mathias Chivot,
historien de l’art, auteur du catalogue raisonné de Ker-Xavier Roussel et commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Giverny, le 26 juillet 2019, durée 11'37". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Mathias Chivot, historien de l’art et auteur du catalogue raisonné de l’artiste
Exposition organisée par le musée des impressionnismes Giverny avec le soutien exceptionnel du musée d’Orsay, Paris




Le musée des impressionnismes Giverny a programmé pour l’été 2019 une exposition monographique consacrée au peintre Ker-Xavier Roussel (1867-1944), intitulée Ker-Xavier Roussel. Jardin privé, jardin rêvé.

Aucune rétrospective d’ampleur consacrée à Ker-Xavier Roussel n’a été organisée en France depuis celle de 1968 à l’Orangerie des Tuileries où son oeuvre était présenté en même temps que celui d'Édouard Vuillard (1868-1940). La rétrospective propose de découvrir cet artiste resté dans l’ombre à travers des toiles inédites – la majorité d’entre elles étant conservées dans des collections particulières – et de reconstituer certains décors dispersés dont le format et la palette ne manqueront pas de surprendre. Elle comprendra une centaine d’oeuvres, depuis les expérimentations nabies des années 1890 jusqu’aux vastes narrations mythologiques que l’artiste revisite avec une force constante au tournant du XXe siècle. L’exposition sera l’occasion de montrer la puissance décorative de Roussel, entre création, autobiographie et grande tradition française. Elle permettra également de découvrir, à travers un cabinet d’estampes aménagé au coeur du circuit, la délicatesse graphique d’un peintre hanté par la mélancolie crépusculaire du symbolisme fin-de-siècle.

L’exposition comportera cinq sections pour comprendre les phases successives de l’oeuvre de Roussel et surtout l’originalité de sa modernité, à rebours du XXe siècle.

Les différentes parties suivent un déroulé chronologique et thématique à la fois. La période nabie de l’artiste (1890-1898) laisse place à ses premiers sujets mythologiques (1898-1901). Ceux-ci inaugurent un travail de quarante ans qui sera analysé et découpé en quatre sections, jusqu’à la plénitude des quinze dernières années, multiple et tourmentée et encore aujourd’hui ignorée.

Un important catalogue sera édité à cette occasion. Toutes les oeuvres exposées y seront reproduites en pleine page couleur et une sélection de documents viendra enrichir le caractère documentaire de cet ouvrage qui sera largement distribué, en France et à l'étranger. Adossée au catalogue raisonné en cours d’élaboration, l’exposition présentera beaucoup d’oeuvres inédites ou très peu vues, en provenance de collections particulières que nous avons pu approcher grâce à un travail de recherche effectué depuis plus de six ans. Les approches dégagées dans l’exposition de Giverny permettront d’actualiser les connaissances sur l’artiste tout en portant au jour des aspects de son travail non encore développés.






Parcours de l’exposition


1. Mystères bucoliques


Ker-Xavier Roussel, après une formation académique qu’il rejette au bout de quelques années, ne rejoint qu’un peu plus tard le groupe des Nabis qui s’était formé sous l’égide de Paul Sérusier (1864-1927) à la fin de l’année 1888. À l’instar d’Édouard Vuillard et de Pierre Bonnard (1867-1947) qui partagent avec lui un atelier rue Pigalle, Roussel préfère rester à bonne distance des préceptes de Paul-Élie Ranson (1861-1909) et de Maurice Denis (1870-1943) qu’il juge trop contraignants, et ne garde vis-à-vis des Nabis qu’une position de témoin actif. Pendant cette courte période, entre 1888 et 1890, il traite de sujets plutôt réalistes mais déjà sous l’influence de Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), jusqu’à ce qu’il décide, à son tour, d’expérimenter le synthétisme, selon son rythme et son propre lexique. Il fait preuve d’une élégante rigueur dans ses compositions et maîtrise avec vigueur des tons d’une grande sobriété. Il travaille des à-plats radicaux qui annulent la perspective classique, et joue de la frontalité des plans pour brouiller les repères spatiaux de la peinture conventionnelle. Roussel ne puise pas nécessairement son inspiration aux sources du quotidien comme Vuillard, mais quand il le fait, il garde toujours une poésie du regard qui lui permet de transfigurer des scènes prosaïques en petites paraboles mystérieuses, dont seuls lui et ses proches peuvent en connaître les codes. Ainsi, on suit d’oeuvres en oeuvres une même silhouette de jeune femme et il existe certainement, à travers ces tableaux, voilée sous la pudeur du cryptage, une chronique entière de sa rencontre avec la soeur de Vuillard, Marie, jusqu’à son mariage avec elle en juillet 1893.

Très rapidement, dès 1895-1896, Roussel se détache du quotidien qu’il a sous les yeux et amorce une évolution sans retour vers un monde rêvé, tout droit sorti de son imagination, nourri des auteurs grecs et latins qu’il lit dans le texte depuis toujours. L’univers des bois sacrés chers à Puvis de Chavannes se peuple de jeunes femmes au bain qui laisseront place, au tournant du siècle, à des nymphes plus légères.


2. L’essence des mythes

Au tournant du siècle, l’oeuvre de Roussel prend définitivement un sens mythologique. Déjà en germe vers 1896, le retour aux mythes fondateurs va occuper toute l’inspiration de l’artiste jusqu’à la fin de sa vie. Le peintre quitte ses références formelles à Puvis de Chavannes et à Maurice Denis, ainsi que ses petits formats intimistes dans la veine de Vuillard. La période qui s’ouvre autour de 1900 n’est pas faite d’un bloc, comme on le pensait jusqu’à maintenant ; elle se compose au contraire de plusieurs chapitres qui correspondent à des manières différentes, des visions qui, chacune, occupent plusieurs années et que le catalogue raisonné de l’artiste est en train de dégager. Toutes sont cependant placées sous l’influence des idées vitalistes de Friedrich Nietzsche (1844-1900) dont Roussel, germanophile convaincu, a eu la révélation en lisant les premières traductions françaises du philosophe en 1892. La pensée nietzschéenne forme certainement le liant le plus significatif de toute sa production ; elle imprime sa marque exubérante, dionysiaque, sur les cortèges de Bacchus, les groupes de nymphes et les satyres, et plus généralement sur toute cette nature rêvée qui anime les compositions de l’artiste.

Le format des oeuvres change ; les petites compositions de la décennie nabie laissent place à de vastes panoramas qui célèbrent les saisons, le mythe de l’abondance, ou la danse et les paysages méditerranéens. C’est d’ailleurs lors de ses premiers voyages dans le sud de la France, et notamment à Saint-Tropez, à partir de l’hiver 1898-1899, qu’il optera pour un néo-impressionnisme qui lui sera propre, sous l’influence intellectuelle de Paul Signac (1863-1935) et d’Henri-Edmond Cross (1856-1910), installés sur la côte depuis plusieurs années. Les séjours répétés que Roussel fait dans le sud en leur compagnie le pousse à revisiter le mythe de l’Harmonie et à développer avec son propre vocabulaire les idées libertaires de ses deux amis, qu’il fait siennes désormais.


3. Planète noire

Au milieu du parcours de l’exposition, un cabinet d’art graphique viendra apporter une respiration au visiteur, en même temps qu’une autre vision de Roussel. Cette section rompt avec les grands formats comme avec la couleur ; c’est l’exact envers des fables colorées qui sont habituellement la marque de l’artiste. En effet, si Roussel est connu pour la gaieté de ses visions antiques, il existe chez lui une inclination au sentiment élégiaque qui tranche singulièrement avec l’explosion de vitalité qu’on lui connaît habituellement. Un autre versant de sa personnalité, tout aussi réel mais insoupçonné, passe au noir une mythologie du désespoir et de la violence, avec ses horizons crépusculaires et ses drames fuligineux.

Car, comme Janus, Roussel possède deux faces : l’une regarde vers les mythes solaires quand l’autre scrute les abîmes, les grottes et détaille ce que les légendes portent en elles d’angoissant. Le peintre, qui souffre d’épisodes dépressifs très marqués, a en lui cette propension atrabilaire qui forme la toile de fond de cette production inattendue. Outre des encres sur papier d’une grande intensité, le travail de recherche lithographique qu’il mène pour illustrer le Centaure et la Bacchante de Maurice de Guérin (1810-1839), des années 1920 à sa mort en 1944, l’a conduit à aller au-delà de la simple élégie pour interroger l’obscurité de ces mythes qu’il peut, dans le même temps, inonder d’une pluie de lumière dans ses toiles.

Ainsi, il réutilise les mêmes sujets que ceux dont il compose ses peintures, mais il les filtre au noir ou les embrume de toute une suite de gris. Les clairières, éclatantes de lumière, s’ensevelissent alors dans la pénombre de soleils noirs. Cette éclipse intermittente propulse le peintre, dans les vingt dernières années de sa vie, vers une expression tout à fait nouvelle, aux confins du réalisme et de l’abstrait, tant son « écriture » paraît libérée quand elle exprime l’inespoir.


4. « Tout brûle dans l’heure fauve »

Sous des aspects bucoliques, l’art de Roussel dissimule une mythologie à forte charge érotique. Bien à l’abri derrière les grands mythes, le peintre, en fait, ne cesse d’imaginer toute une galaxie de désirs, tout un univers de flamboiements charnels que les critiques ont prudemment éludés jusqu’à maintenant, à grand renfort de litotes. Et pourtant, la délectation des sens est bien la raison profonde des oeuvres de Roussel, en bon nietzschéen qu’il est. Des fables d’Ovide, il a su conserver l’intrication du champêtre et du sexuel qui donne toute son équivoque à l’image produite. Et c’est en effet dans la sérénité de paysages arcadiens que Roussel décline ses variations sur la concupiscence de l’homme ; c’est dans la tendresse des verts campagnards qu’il déploie les gammes de son érotisme envisagé comme un rapport de force, jusqu’au rapt. Il y a bien chez Roussel une coïncidence de vue avec les auteurs latins ou la morale nietzschéenne qui veulent que, si la sensualité ne se donne pas, elle doit se prendre de force. Il y a ainsi dans la peinture de l’artiste une fascination pour la crudité que portent en eux les mythes les plus érudits.

En même temps que cette narration du désir forcé, Roussel élabore aussi une trame continue sur le désir de voir, autour de la figure du guetteur embusqué, dont L’Après-Midi d’un faune (Beauvais, MUDO – musée de l’Oise) est le thème le plus emblématique. Mais le peintre se situe au-delà de l’épure debussyste, car c’est moins la contemplation élégiaque qui l’intéresse que le prélude à la poursuite sensuelle, celle du satyre lancé sur les traces de la nymphe effarée, celle de Polyphème contre Acis, pour obtenir Galatée (Paris, musée d’Orsay). La vision du regardeur indiscret détermine même le type de cadrage de l’oeuvre et le niveau de sa ligne d’horizon, comme si le peintre s’était tapi derrière les joncs avec son voyeur. Le délice que suscite le spectacle des corps est bien le sujet réel des peintures de Roussel, sous le prétexte mythologique.


5. Grandeur nature

La dernière partie de l’exposition propose un aspect très particulier de Roussel : sa capacité à faire glisser la mythologie dans notre réalité quotidienne en lui donnant pour décor le paysage des Yvelines. L’Étang-la-Ville fait alors office de site antique, dans un raccourci temporel voulu et organisé par le peintre. Très tôt, dès 1899, Roussel a choisi la campagne encore rustique des environs de Marly pour y installer maison, famille et atelier. Il rompt ainsi définitivement avec cet alentour urbain si peu adapté à ses rêveries et utilise le vallon qui s’étire autour de lui pour nourrir un véritable répertoire de décors. Ce n’est donc pas sur les reliefs escarpés du Péloponnèse ou dans les plates vallées de Campanie que ses fables mythologiques s’épanouiront mais en forêt de Marly, sous les taillis de son jardin ou au milieu de son verger. Le jardin, qu’il terrasse avec soin, qu’il transforme et qu’il embellit, lui fournit l’inspiration pour fixer le cadre de ses visions.

Cette section sera l’occasion de mesurer le grand talent de Roussel comme décorateur, et de montrer – cela n’a pas été fait depuis 1968 – plusieurs des cycles décoratifs conçus par le peintre pour des commanditaires parisiens comme les Hessel, les Monteux ou les Rosengart. Le grand critique d’art Arsène Alexandre (1859-1937) avait déjà remarqué, en 1893, « [la] grande noblesse et [la] grande simplicité, en même temps que [l’]harmonie rare » de ses propositions décoratives pour la mairie de Bagnolet. Parvenu au sommet de son art, Roussel choisit à chaque fois de montrer son environnement immédiat, le Saint-Tropez qu’il fréquente ou la campagne des environs de Paris, laissant apparaître ici et là un costume contemporain dont l’anachronisme, volontaire, est là pour souligner l’actualité des mythes antiques.