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“Picasso” Tableaux magiques
au Musée national Picasso, Paris

du 1er octobre 2019 au 23 février 2020



www.museepicassoparis.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 30 septembre 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Picasso, Buste de femme avec autoportrait, février 1929. Huile sur toile, 71 x 60.5 cm. Collection particulière, Courtesy McClain Gallery. © Succession Picasso 2019.
2/  Anonyme, L’ombre d’un profil d’homme, négatif non daté. Négatif souple en nitrate de cellulose, 11,9 x 7 cm. Musée national Picasso-Paris. © RMN-Grand Palais / Image RMN-GP. © Don Succession Picasso, 1992. APPH17618. © Succession Picasso 2019.
3/  Pablo Picasso, Figure, [été] 1927. Huile sur toile, 100 x 82 cm. Musée national d’Art moderne - Centre Georges Pompidou, Paris. Don de l’artiste, 1947. AM 2727 P. © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Jacques Faujour. © Succession Picasso 2019.

 


2819_Tableaux-Magiques audio
Interview de Emilie Bouvard, conservatrice du patrimoine au Musée national Picasso-Paris (anciennement) et co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 30 septembre 2019, durée 14'32". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Emilie Bouvard, conservatrice du patrimoine au Musée national Picasso-Paris
Marilyn McCully, historienne de l’art
Michael Raeburn, écrivain, éditeur




Entre l’été 1926 et le printemps 1930, Pablo Picasso réalise un vaste ensemble de peintures que le critique d’art Christian Zervos nommera dès 1938 « tableaux magiques » dans sa revue Cahiers d'art. Avec ces oeuvres aux figures si étranges, Picasso expérimente différentes formes plastiques et ouvre un nouveau chapitre de sa création. Ici s’annonce déjà la puissance de Guernica.

L'exposition permettra la réunion exceptionnelle d’une grande partie de ces oeuvres si singulières, aujourd’hui dispersées dans le monde entier, en les replaçant dans le contexte du surréalisme et des courants intellectuels contemporains.



Parcours de l’exposition


1. Tableaux magiques

À l’été 1926, à Juan-les-Pins, Pablo Picasso inaugure un nouveau cycle d’oeuvres, qui s’achève à la fin du premier trimestre de l’année 1930. Cet ensemble d’environ cent cinquante peintures présente des caractéristiques plastiques et thématiques communes et a été identifié pour la première fois en 1938 par l’éditeur et critique Christian Zervos, dans un article de sa revue Cahiers d’art intitulé « Tableaux magiques de Picasso ». Ces peintures, mettant en scène principalement des têtes et des corps, montrant parfois le décor de l’atelier, se distinguent par une extrême formalisation et l’élaboration d’un système de signes. Les figures, d’abord composées de plans et de lignes, puis au contraire d’étranges volumes monumentaux, semblent en perpétuelle métamorphose. L’extraordinaire imagination créative de l’artiste conduit Christian Zervos à voir en lui un magicien, capable d’inventer des formes inédites, susceptibles d’influencer la pensée de celui qui les regarde. Radicales, ces nouvelles oeuvres ont immédiatement suscité des interprétations passionnées, qui subsistent aujourd’hui. « Picasso. Tableaux magiques » est la première exposition exclusivement consacrée à cette nouvelle période picassienne, dont elle rassemble une sélection significative.


2. Formules secrètes
Les peintures magiques de Pablo Picasso se définissent par leur puissance expressive. Caractérisées par des lignes sinueuses créant un double profil, ou par la modification et la permutation des traits anatomiques, ces oeuvres constituent des séries et semblent s’être élaborées au fil de dessins dans un rythme soutenu évoquant une pratique incantatoire. Dans plusieurs compositions de figures assises et de têtes présentées dans cette salle, le déplacement des traits du visage, en particulier dans les figures endormies, renforce leur aspect dérangeant. Le mode opératoire de Picasso a la nature répétitive des sortilèges ou des formules magiques destinés à convoquer en des rites secrets des pouvoirs spirituels invisibles.


3. Objets magiques
Pablo Picasso possède au milieu des années 1920 une importante collection d’oeuvres extra-occidentales, constituée depuis le début du XXe siècle. La création des tableaux magiques est contemporaine d’un essor du goût pour ce type d’objets au sein des cercles artistiques. Entre 1926 et 1930, Picasso est ainsi en contact avec la deuxième génération de marchands parisiens d’art extra-occidental, parmi lesquels Louis Carré, André Level, Pierre Loeb et Charles Ratton. Auprès d’eux, l’artiste enrichit sa collection. Le Musée national Picasso-Paris conserve onze pièces collectionnées par Picasso ou connues de lui en 1930. Ces oeuvres sont diffusées dans les expositions et dans les revues d’art, particulièrement dans Cahiers d’art, où est reproduit un masque du détroit de Torrès (Christian Zervos, « L’Art nègre », Cahiers d’art, no 7-8, 1927). Elles inspirent le travail de Picasso.


4. Métamorphoses
Le processus de métamorphose – ou de recréation – est visible dans le déplacement des traits du visage et du corps auquel procède Pablo Picasso. Les compositions présentées dans cette salle, exécutées à Cannes pendant l’été 1927, montrent comment l’artiste transforme ses dessins de baigneuses sur la plage en ce qui semble être le projet de figures sculpturales, remarquables par l’exagération des parties du corps et des gestes. Dans Nu sur fond blanc (1927, Musée national Picasso-Paris, MP102), une baigneuse projette un long bras effilé vers le haut. L’intérêt que porte alors Picasso à la sculpture est lié à sa recherche d’une forme pour un monument à la mémoire du poète Guillaume Apollinaire, son ami intime mort en 1918. La petite maquette en plâtre, dénommée Métamorphose II (1928, Musée national Picasso-Paris, MP202), est un modèle pour une sculpture de dimensions plus importantes, qui ne vit jamais le jour. Jugeant la proposition scandaleuse pour un monument funéraire, le comité Apollinaire, à l’initiative de la commande, refusa le projet.


5. Transmutations
Christian Zervos parlait de « transmutation » pour décrire les rapports des peintures magiques de Pablo Picasso avec la réalité. Dans une série de peintures exécutées à Cannes, Picasso affine sa représentation d’une tête de femme, réduisant les traits du visage à des signes : des lignes droites pour les cheveux, le nez (et les narines) placé en haut, les yeux apparaissant en vis-à-vis sur les pommettes ; la bouche verticale bordée de dents dans l’espace intermédiaire, et le contour de la tête proprement dite défini par une forme géométrique irrégulière. Dans une de ces toiles, l’incorporation de craie pulvérisée dans la surface peinte évoque simultanément une atmosphère brumeuse et le sable de la plage. Au nombre des natures mortes de Picasso de la même période figure une série de représentations schématiques de guitares. Dans la peinture Guitare (27 avril 1927, Musée national Picasso-Paris, MP1990-13) flotte un signe qui associe les lettres « M » et « T », faisant allusion à la jeune amante de Picasso, Marie-Thérèse Walter.


6. Écrits magiques
Cette période que Christian Zervos identifie en 1938 comme celle des « Tableaux magiques de Picasso » est remarquée dès sa création par les cercles intellectuels. Plusieurs écrivains qui analysent cette nouvelle peinture de l’artiste sont des amis de l’artiste. Zervos, critique d’art et éditeur de la revue Cahiers d’art, défend le travail de l’artiste espagnol depuis 1926, et publie son oeuvre au fur et à mesure. Inspiré par la philosophie de Hegel, il est attaché à mettre en valeur la liberté dont fait preuve Pablo Picasso dans sa création. En 1938, un an après la création de Guernica, cette vision d’un Picasso libre prend une dimension politique, face à la montée des périls internationaux. L’écrivain, critique et ethnologue Michel Leiris devient l’ami de Picasso dans les années 1920. Carl Einstein, auteur majeur sur l’art africain et moderne, aux convictions politiques radicales, est l’un de ses correspondants. Leiris et Einstein participent activement aux activités de la revue Documents (1929-1930), auprès de Georges Bataille. Face au mouvement surréaliste mené par André Breton, qui a fait du peintre espagnol un de ses pères spirituels, ils défendent un Picasso « réaliste » attaché au réel dans toute sa fascinante monstruosité.


7. Le pouvoir d'invention
Le dessin joue un rôle essentiel dans la pratique artistique de Pablo Picasso. Les séries graphiques au fil desquelles il élabore ses images révèlent son exploration simultanée de formes et d’échelles différentes, des dessins aux peintures. Le groupe de représentations graphiques de l’atelier de l’artiste renvoie au Peintre et son modèle du Museum of Modern Art de New York. Dans tous ces dessins, aux effets de texture travaillés à l’encre de Chine, l’accent est mis sur la figure du peintre avec sa palette à droite, qui dérive directement de la première sculpture en fer soudé que réalise Picasso en octobre 1928, Tête (Musée national Picasso-Paris, MP263). Lorsqu’il publie son article sur les « Tableaux magiques de Picasso » (Cahiers d’art, no 3-10, 1938), Zervos reproduit au côté des peintures une suite de dessins de baigneuses exécutés dans un carnet à Cannes en 1927. Si la déformation des corps et l’emploi de signes pour figurer les traits du visage et les cheveux confirment le parti adopté dans les peintures, Les baigneuses y sont rendues de manière volumétrique, telles des sculptures monumentales, avec des ombres et des rehauts révélant le caractère massif de leurs formes, et leur mouvement.


8. L'atelier
L’atelier de l’artiste ressemble au laboratoire de l’alchimiste, où l’élaboration du Grand OEuvre – la transmutation de la matière – procède pour Pablo Picasso d’une collaboration entre l’artiste et son modèle. Plusieurs expérimentations pour représenter des têtes et des figures aboutissent à des compositions d’atelier. Les couleurs vibrantes de deux versions du modèle dans l’atelier (exécutées à Cannes en 1927) présentent un contraste saisissant avec la palette sourde des peintures antérieures. Dans les compositions plus complexes qui suivent, des références aux formules désormais établies qu’il utilise dans ses peintures magiques apparaissent dans les tableaux de l’atelier. Alors que l’artiste y est habituellement montré en train de peindre, son profil fantomatique s’immisce parfois dans la scène exposée au regard, évoquant une présence spirituelle. Durant toute cette période, Picasso participe à l’élaboration d’une édition illustrée du Chef-d’oeuvre inconnu de Balzac, une nouvelle ayant qui explore les rapports étroitement mêlés de l’artiste, du modèle, de l’oeuvre peinte et du spectateur. Les illustrations du livre comportent de nombreux dessins apparentés aux têtes magiques.


9. Exposer les tableaux magiques
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Pablo Picasso rejoint la galerie de Paul Rosenberg au 21, rue La Boétie à Paris. Rosenberg, qui défend alors Georges Braque ou Marie Laurencin, est l’un des galeristes les plus en pointe des années 1920. Fin stratège commercial, il expose Picasso tantôt seul, tantôt avec d’autres artistes modernes, comme par exemple en 1929 et 1930 pour les premières expositions de tableaux magiques. Grâce à ses excellentes relations avec les collectionneurs et galeristes américains, le marchand diffuse largement l’oeuvre de Picasso aux États-Unis. De nombreuses expositions, présentent, isolément ou en groupe, ces tableaux que l’on ne nomme pas encore « magiques », permettant leur entrée dans des collections privées, puis publiques, outre-Atlantique. Rosenberg constitue également une documentation sur l’oeuvre de Picasso, faisant photographier la production de l’artiste et la compilant dans un portfolio pouvant être présenté aux amateurs et collectionneurs. Ainsi ces oeuvres sont déjà en partie connues d’un certain public quand Zervos les analyse en 1938.


10. Signes-symboles
Dans les peintures que Pablo Picasso crée en 1927 et 1928, les figures prennent un caractère plus formel, les traits du visage et les parties du corps se réduisant volontiers à des signes. L’artiste travaille à ce nouveau langage en séries. Toutefois, le positionnement des yeux en amande, de la bouche dentée, voire des narines, loin d’être arbitraire, confère à ces têtes en réalité toute leur puissance émotionnelle. Deux d’entre elles semblent hurler d’angoisse, Picasso abandonnant ici exceptionnellement les formes à dominante courbe, parfois biomorphiques, qui avaient caractérisé son travail antérieur, pour préférer les angles aigus. D’autres visages renvoient eux aux mystérieuses conventions symboliques de l’art extra-occidental, notamment africain ou océanien, telles que pouvait les percevoir Picasso.


11. Rythme et monumentalité
L’attention que Pablo Picasso porte à la sculpture à partir de l’automne 1928 a des répercussions sur ses peintures et ses dessins, dont beaucoup évoluent vers la monumentalité. Après le refus des propositions soumises au comité Apollinaire pour le monument commandé en hommage au poète, les formes des têtes de ses peintures deviennent de plus en plus sculpturales. Une série de têtes et de figures, parfois associées à un fauteuil rouge, qu’il exécute entre janvier et mai 1929, évoque de nouvelles solutions pour son monument, mais elles ne seront pas réalisées en trois dimensions. Picasso n’en travaille pas moins à plusieurs sculptures pendant cette période, en collaboration avec l’artiste Julio González qui l’initie à la sculpture en métal. Tête d’homme (1930, Musée national Picasso-Paris, MP269) associe des éléments en fer, en cuivre et en bronze. Ici, le vif contraste entre les à-plats et les éléments saillants ainsi que l’arrondi de l’arrière de la tête produisent une force expressive comparable à celle des têtes des peintures magiques.


12. Réalisme mythique
A la fin des années 1920, le critique d’art allemand Carl Einstein analyse avec passion l’oeuvre de Pablo Picasso, notamment dans la revue Documents, dont il est alors l’un des principaux rédacteurs. Il invente notamment le qualificatif de « réalisme mythique » pour différencier les explorations de Picasso de celles des surréalistes. Selon lui, son travail s’enracinerait beaucoup plus profondément dans les sources fondamentales de l’imaginaire et entretiendrait avec celles-ci des liens infiniment plus étroits que ce que les surréalistes expérimentent. L’artiste espagnol ne cherche pas à traduire littéralement ses propres fantasmes mais à produire des oeuvres d’une portée universelle. Réalisées entre décembre 1929 et mars 1930, les dernières peintures magiques consistent en un groupe d’oeuvres exécutées sur des panneaux en bois provenant, semble-t-il, du démontage d’une armoire. La forme des têtes de ces nouvelles compositions varie entre des visages triangulaires et des créatures monumentales dont l’architecture osseuse définit le volume. Les caractéristiques de ces dernières figures se retrouvent dans la tragique Crucifixion (7 février 1930, Musée national Picasso- Paris, MP122), faisant de cette oeuvre un point ultime de la série.