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“Léonard de Vinci” article 2850
au Louvre - Hall Napoléon, Paris

du 24 octobre 2019 au 24 février 2020



www.louvre.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 22 octobre 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Léonard de Vinci (1452-1519), Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus jouant avec un agneau, dite La Sainte Anne, vers 1503-1519. Huile sur bois (peuplier). H. 168,4 ; L. 113 cm. Paris, musée du Louvre, département des Peintures, INV. 776 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / René-Gabriel Ojéda.
2/  Léonard de Vinci (1452-1519), Étoile de Bethléem, Anémone des bois, Euphorbe Petite Éclaire, vers 1505-1510. Sanguine, plume et encre brune. H. 19,8 ; L. 16 cm. Windsor Castle, The Royal Collection, Royal Library, 12424. Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2019.
3/  Léonard de Vinci (1452-1519), Tête de femme dite La Scapigliata (« l’Échevelée »), vers 1501-1510. Blanc de plomb avec pigment de fer et cinabre, sur une préparation de blanc de plomb (avec plomb et minium ?) contenant des pigments à base de cuivre (vert-de-gris ou malachite), jaune de plomb et étain, plus tard verni avec de l’ambre jaune viré au vert, sur panneau de noyer. H. 24,7 ; L. 21 cm. Parme, Galleria Nazionale, INV. 362, acquisition 1839 © Licensed by the Ministero per i beni e le attività culturali - Complesso Monumentale della Pilotta- Galleria Nazionale di Parma.

 


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Interview de Louis Frank, conservateur en chef du Patrimoine au département des Arts graphiques du musée du Louvre et co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 22 octobre 2019, durée 7'07". © FranceFineArt.
(de gauche à droite : Louis Frank et Vincent Delieuvin, commissaires de l'exposition)

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

De ses années d'études à l'atelier d'Andrea del Verrocchio, Les draperies de Léonard de Vinci semblent un manifeste : la lumière sculptant la matière, lui insufflant la vie et le mouvement. Le tissu se plie en vagues, devient corps d'ombres et de reflets, un corps en prière, un corps assis, digne et important, un corps emporté par de profondes marées. Des angles vifs, métalliques, acérés ou l'abandon lascif d'une figure assise dans une douce mollesse brossent les caractères de personnages pourtant invisibles. Tout est déjà là dans son étude de tête de jeune homme, la sensualité troublante, la délicate androgynité, le visage d'ange encadré par une chevelure bouclée légère comme une fumée s'élevant vers le divin. Mais ce qui frappe c'est la présence du personnage, cette énergie qui le fait respirer, exister, sortir de sa feuille de papier et venir à notre rencontre.

La Madone Benois et son Enfant totalement absorbé par la fleur qui lui est présentée ne sont pas peints figés dans un un geste, ils sont ce mouvement qui se prolonge sur la toile pour l'éternité. Le spectateur est à présent un voyeur surprenant une intimité qui ne lui est pas destinée, un intrus dont la chair existe moins que celle des personnages du tableau qu'il contemple. Le portait de la Belle Ferronnière est révolutionnaire par son regard droit, direct, incarné. Ce n'est plus le spectateur qui interroge le tableau mais la femme peinte qui nous scrute, nous dénude, nous questionne.

On passera rapidement sur les (trop) nombreuses réflectographies infrarouges - des radiographies de tableaux malades ? - faisant office de reproductions monochromes des toiles qui n'ont pu faire le voyage pour admirer un paysage de la vallée de l'Arno ou trois montagnes à la sanguine sur un petit papier rouge. Ces études s'extraient déjà du réel pour tutoyer le fantastique, prêtes à engendrer les fonds épiques de paradis et d'enfers perdus dans le sfumato.

L'exposition fait la part belle aux carnets, montrant une quête du savoir total. Mathématique, géométrie, botanique, optique, mécanique des fluides, observation des nuages, anatomie, astronomie, inventions de machines, zoologie ; Léonard de Vinci observe, étudie, recherche sans cesse. Sur une même page, un ange, des esquisses de personnages et de chevaux pour la Bataille d'Anghiari et des études de mécanique se mêlent : l'esprit et la plume sont dans un mouvement perpétuel, incapables de s'arrêter un instant. Et soudain de l'observation d'une fleur, une Étoile de Bethléem, s'ouvre un champ onirique, il se crée d'un mouvement dansant des feuilles une chevelure voluptueuse, une spirale délicieuse.

Les tableaux de l'atelier de Vinci n'y arrivent pas tout à fait, ça y ressemble, ça en a presque le goût mais une étude de tête de Léda de la plume du Maître nous rappelle fort à propos que la véritable grâce est inimitable.

Et puis au bout de la salle il y a un modeste petit panneau de bois. Des formes ondulantes se rejoignent, brodent une chevelure, et en émerge une figure blanche sculptée avec une tendresse infinie par une lumière divine. Le génie de Léonard de Vinci est là, dans le miracle qu'est La Scarpiliata, dans le visage si pur et sincère, si lumineux que l'on s'arrête enfin, saisi dans un instant de miséricorde, une intense émotion.

Pour l'occasion on a descendu Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant Jésus jouant avec un agneau et Saint Jean Baptiste de la galerie de la Renaissance italienne. Cela oblige les visiteurs à s'offrir l'exposition en plus de leur visite du Louvre pour les admirer. Mais il faut admettre à la décharge du commissariat d'exposition que nombre d'entre eux sont, habituellement, trop pressés d'aller voir la Joconde pour les remarquer. Un prêté pour un rendu en quelque sorte ?

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition :
Vincent Delieuvin, conservateur en chef du Patrimoine, département des Peintures, musée du Louvre
Louis Frank, conservateur en chef du Patrimoine, département des Arts graphiques, musée du Louvre




À l’occasion des 500 ans de la mort de Léonard de Vinci en France, le musée du Louvre conçoit et organise une grande rétrospective consacrée à l’ensemble de sa carrière de peintre. L’exposition entend montrer combien Léonard a placé la peinture au-dessus de toute activité, et la manière dont son enquête sur le monde – il l’appelait « science de la peinture », fut l’instrument d’un art, dont l’ambition n’était autre que de donner la vie à ses tableaux.

Autour de sa propre collection de 5 tableaux, la plus importante au monde – la Joconde restera toutefois exposée dans le parcours des collections permanentes – et de ses 22 dessins, le Louvre rassemblera près de 140 oeuvres (peintures, dessins, manuscrits, sculptures, objets d’art) issues des plus prestigieuses institutions européennes et américaines : la Royal Collection, le British Museum, la National Gallery de Londres, la Pinacothèque vaticane, la Bibliothèque Ambrosienne de Milan, la Galleria Nazionale de Parme, les Gallerie dell’Accademia de Venise, le Metropolitan Museum de New York, l’Institut de France, …

La célébrité extraordinaire de cet infatigable curieux, perçu très tôt comme l’incarnation du génie et du savoir universels, l’aura presque surréaliste de la Joconde et la littérature considérable qui s’est accumulée de son époque à nos jours offrent une image confuse et fragmentaire du rapport de Léonard à la peinture.

Aboutissement de plus de dix années d’un travail ayant vu notamment l’examen scientifique renouvelé des tableaux du Louvre et la restauration de trois d’entre eux (la Sainte Anne, la Belle Ferronnière et le Saint Jean Baptiste), permettant de mieux comprendre sa pratique artistique et sa technique picturale, l’exposition s’efforce également de clarifier la biographie de Léonard sur la base d’une reprise de l’ensemble de la documentation historique. Elle rompt avec l’approche canonique de la vie du maître florentin selon six périodes chronologiques rythmées par ses déplacements géographiques, en faveur de quelques clés qui en ouvrent l’univers.

Émerge ainsi le portrait d’un homme et d’un artiste d’une extraordinaire liberté.

A l’issue de l’exposition, une expérience en réalité virtuelle, réalisée avec HTC Vive, permettra d’approcher la Joconde comme jamais.






Parcours de l’exposition


Léonard de Vinci (1452-1519)


Lionardo di Ser Piero da Vinci, Léonard, fils de Messire Piero, né à Vinci, près de Florence, dans la nuit du 14 au 15 avril 1452 et mort à Amboise le 2 mai 1519, est l’icône de la peinture européenne et l’une des plus hautes figures de la Renaissance italienne.

Il vécut ses années de jeunesse à Florence et y fut l’élève du sculpteur Andrea del Verrocchio. Autour de 1482, il s’établit à Milan, où il peignit la Vierge aux rochers et où, au service de Ludovic Sforza, il conçut l’ouvrage qui fit de lui l’un des artistes les plus célèbres de son temps : la Cène. Revenu à Florence en 1500, il y réalisa ces oeuvres absolues que sont la Sainte Anne, le portrait de Lisa del Giocondo, la Bataille d’Anghiari et le Saint Jean Baptiste. Retourné à Milan dès 1506, il descendit à Rome en 1513, au lendemain de l’élection du pape Léon X Médicis. En 1516, il quitta l’Italie à l’invitation du roi de France, François Ier, et vint finir ses jours sur les rives de la Loire.

La révolution léonardienne tient en quelques mots. Afin que ses figures possèdent, dans un espace infini constitué d’ombre et de lumière, la réalité de la vie, il apprit à leur donner, par l’invention d’une liberté graphique et picturale sans pareille, la nature du mouvement. Afin qu’elle sache traduire la vérité des apparences, il voulut faire de la peinture la science universelle du monde physique. Ce fut l’aurore de la modernité, dont la grandeur a surpassé, dans la conscience contemporaine, la noblesse de l’Antiquité.


Ombre lumière relief

Léonard fut, à Florence, dès 1464, l’élève de l’un des plus grands sculpteurs du quinzième siècle : Andrea del Verrocchio. De Verrocchio, également dessinateur admirable, il apprit non seulement le caractère sculptural de la forme, mais encore le mouvement, principe du réel et fondement de tout récit, ainsi que le clair-obscur, l’expression du drame par le jeu de l’ombre et de la lumière. Le Christ et saint Thomas, bronze monumental fondu par Verrocchio pour l’église florentine d’Orsanmichele, fut son école. De cette conception profondément picturale de la sculpture – Verrocchio s’essaya d’ailleurs lui-même à la peinture –, Léonard a tiré le premier fondement de son propre univers : l’idée que l’espace et la forme sont engendrés par la lumière et qu’ils n’ont d’autre réalité que celle de l’ombre et de la lumière. Les Draperies monochromes sur toile de lin, peintes d’après des reliefs de terre recouverts de drap imprégnés d’argile, semblables à ceux que Verrocchio conçut pour l’étude des figures d’Orsanmichele, sont nées de cette appréhension sans précédent de la matière spatiale.

Le passage de la sculpture à la peinture, favorisé par l’intérêt que Léonard portait, au même moment, aux créations de l’atelier rival des Pollaiuolo comme à la nouveauté apportée à Florence par la peinture flamande – portrait de troisquarts et technique de l’huile –, s’accomplit dans l’Annonciation, la Madone à l’oeillet et le portrait de la Ginevra de’Benci.


Liberté

Autour de 1478, Léonard trouve les voies d’un nouvel approfondissement de la leçon de Verrocchio. La forme n’étant qu’une illusion que le monde, dans sa perpétuelle mobilité, ne cesse d’arracher à elle-même, le peintre ne peut en saisir la vérité que par une liberté de l’esprit et de la main capable de nier la perfection de la forme. Cette négation, dans le dessin, est un assaut violent contre la forme, une juxtaposition immédiate d’états incompatibles qui ne laisse parfois rien subsister que le noir. Léonard nomme cette manière, née de la nécessité impérieuse de traduire le mouvement, « composition inculte » – componimento inculto. La Madone au chat ou la Madone aux fruits en sont les premières manifestations éclatantes.

La liberté du componimento inculto transfigure l’univers du peintre. La réflectographie de l’Adoration des Mages révèle un dessin tumultueux, au charbon de bois et au pinceau, caractérisé par l’énergie du trait et le chaos des lavis, les perpétuelles reprises et la superposition indéfinie des idées, repentirs qui plongent les protagonistes de l’histoire dans une nuit agitée et confuse. Inhérente à cette liberté créatrice, se fait jour la tendance à l’inachèvement, destinée à devenir l’une des marques de la peinture de Léonard, et dont le Saint Jérôme est le pathétique témoignage. Cette phase créatrice se prolonge à Milan, où Léonard s’établit vers 1482. Il y peint la Vierge aux rochers, le Musicien et la Belle Ferronnière.


Science

Dessiner, lorsque l’on est doué d’une vision analytique passant toutes les normes, c’est non seulement reproduire des formes, mais c’est encore exprimer des relations entre les formes, ou, pour le dire autrement, c’est penser. Chez Léonard, cette intelligence est consciente d’elle-même et s’accompagne d’un questionnement perpétuel sur le monde, d’un désir insatiable de comprendre qui se mue progressivement en volonté de démonstration puis en une enquête systématique portant sur tous les aspects de l’univers physique. Se constitue de la sorte un répertoire infini d’observations, de recherches, d’expériences, de réflexions, de théories, mêlant étroitement l’écriture et le dessin, souvent errantes et imparfaites, mais dont la somme constitue l’un des plus fascinants chapitres de l’histoire de la philosophie naturelle.

Si toutes les disciplines sont ainsi convoquées en vue d’une connaissance intégrale de l’univers, c’est que la considération des apparences ne suffit plus à Léonard et qu’il lui faut, afin de traduire la vérité des apparences, connaître l’intériorité des phénomènes, les lois qui les gouvernent et dont il affirmera, dans le sillage de Pythagore et de Platon, qu’elles sont de nature fondamentalement mathématique.


Vie

L’exigence scientifique absolue de Léonard, dispersée à travers tous les champs de la connaissance, a engendré un labyrinthe infini, dans les miroitements et les scintillements duquel le peintre semble s’être finalement perdu. Mais cette disparition n’est qu’apparente, et la science elle-même n’est pas autre chose que la forme, nécessaire, que revêt la liberté du peintre, maître de l’ombre, de la lumière, de l’espace et du mouvement. Dans la peinture, la sauvagerie du componimento inculto est devenue le passage des formes l’une dans l’autre, l’extinction de toute limite qu’autorise le medium révolutionnaire de l’huile – le sfumato. La liberté, ainsi accomplie dans l’élément des sciences de la nature, élève la peinture à la hauteur d’une science divine, capable de recréer le monde, et dont le couronnement est l’expression du mouvement, vérité de tous les êtres, chez ceux dont il est la propriété immanente : les vivants.

C’est le temps de la Cène, de la Sainte Anne, du portrait de Lisa del Giocondo, de la Bataille d’Anghiari, du Salvator Mundi et du Saint Jean Baptiste, le moment inaugural de l’art moderne.