extrait du communiqué de presse :
Après avoir soutenu son travail en 2018, la Galerie Binome représente l’artiste Baptiste Rabichon. « Double exposition », sa première exposition personnelle à la Galerie, rend compte de ses recherches protéiformes sur le médium photographique et de la combinaison de gestes au coeur de Chirales. Expérience initiée en 2014, cette série trouve un récent aboutissement dans les oeuvres inédites présentées.
“Chronologiquement, parmi mes pièces numériques, la série Chirales se situe juste après ce que j’appelle mes pièces de bureau (Libraries, Papeteries, Galaxy) avec lesquelles on a tendance à la comparer. Mais scanner un téléphone ou un papier de la taille d’un ticket de métro n’implique pas le corps de la même manière que de se débattre avec deux scanners ouverts et badigeonnés de peinture, coincés entre mes genoux et la table, tandis qu’avec la main qui n’est pas encastrée entre deux engins, je manipule les claviers de deux ordinateurs pour les actionner… J’ai construit cette série juste après mes premiers photogrammes ; avec le recul, je pense que je prenais plaisir à transposer la liberté de geste acquise dans le noir du labo, à l’environnement de mon bureau.”
[presse] Baptiste Rabichon à propos de la série Chirales, “Pour voir ce que ça fait” entretien avec Manon Klein - revue Camera #23, déc-fév 2019.
« Double exposition » se fait aussi l’écho d’une double actualité avec la présentation concomitante de « À l’intérieur cet été » à la Galerie Paris-Beijing, jusqu’au 2 mars.
La Galerie Binome présente une exposition personnelle de Baptiste Rabichon. Intitulée « Double exposition », non sans malice, celle-ci met en avant une série de recherches visuelles, les Chirales, en explorant le motif du dédoublement et le principe de l’exposition photographique. Proposées sous la forme de diptyques en des formats allant du A4 au A0, les oeuvres vérifient la nature expérimentale de la démarche de l’artiste, notamment à travers l’utilisation d’outils ou de matériaux plus ou moins quelconques, en vue d’interroger les images et leur mode d’élaboration. Il en résulte, comme le confirme cette exposition, une imagerie inattendue dont la portée et les enjeux sont multiples.
Dans le cadre des Chirales, Baptiste Rabichon emploie un dispositif relativement astucieux : deux scanners qui se font face sont appelés à se scanner mutuellement. Dans le déroulement de l’opération, un mince écart est maintenu entre les deux appareils, tandis que des motifs de peinture acrylique, préalablement apposés sur les surfaces, sont balayés par le passage de la lumière. Deux images apparaissent alors comme l’avers et le revers d’une même réalité. La notion de chiralité, à cette occasion, est davantage une allusion qu’une propriété attribuable aux deux images. S’il y a bien une réciprocité dans les physionomies, un trait de peinture pouvant être perçu à la fois de face et de dos, elles ne sont cependant ni symétriques ni superposables l’une à l’autre. Or, à défaut de trouver une appellation plus appropriée, le principe de chiralité est malgré tout ce qui traduit le mieux le dispositif mis en place. Aussi cette difficulté à nommer est-elle symptomatique du travail de Baptiste Rabichon, dans la mesure où ce qu’il entreprend semble ne pas avoir d’antécédent, de la même façon que ces images possèdent une complexité inhérente qui rend nécessaire la mise en évidence d’au moins deux particularités.
On remarque tout d’abord, d’un point de vue visuel, que ces images abondent vers un univers graphique qui n’est pas sans évoquer la peinture expressionniste, avec ses couleurs vives et ses gestes francs, sa spontanéité et son caractère élusif. Toutefois, en certains endroits, le rayon lumineux du scanner, mais aussi les doigts de l’artiste, sont visibles. Ils permettent de rappeler la nature résolument photographique du dispositif, ainsi que la possibilité pour l’observateur de situer une échelle de grandeur, notamment au regard des différents formats proposés. Une série de contradictions est donc mise en oeuvre ; on perçoit en effet une opposition entre la peinture et la photographie, entre la singularité de la main et le fonctionnement mécanique de l’appareil, entre une visibilité quelque peu abstraite et une technique qui, en un sens, aspire à restituer le réel avec fidélité. Plus qu’une série de distinctions, peut-être serait-il plus juste d’affirmer des imbrications et des complémentarités entre des pôles réputés contraires. C’est ce qui permettrait d’identifier un travail de peinture qui prendrait appui sur des outils photographiques, tout comme il pourrait s’agir d’un travail de photographie qui aurait entrepris de méditer sur des techniques de capture lumineuse à partir de matériaux issus, eux, de la peinture.
En second lieu, on relève avec les Chirales la nécessité de penser l’image non tant comme un reflet de la réalité, mais comme une entité à part entière close sur elle-même, échappant du même coup à la nécessité d’avoir du sens. D’un côté en effet, le dispositif du scanner produit des images de façon automatique et autonome ; les enregistrements fonctionnent pour ainsi dire à l’« aveuglette », sans intention ni discernement, pourvu que la mécanique s’enclenche. Si cet aspect est valable pour tout type d’appareil de captation et de restitution visuelle opérant de façon automatisée, comme la photographie, la vidéo ou d’autres dispositifs numériques, dans le cas présent, en renvoyant aux possibilités techniques du scanner, de telles images affirment que le « médium est le message », car elles ne se soucient que très peu de la nature précise de ce qui est scanné. Aussi, d’un autre côté, en mettant face à face ces deux scanners, un peu comme des miroirs qui se reflèteraient à l’infini, le dispositif employé par Baptiste Rabichon finit par conforter cette absence d’ouverture sur l’extérieur. Les images pourraient alors se citer mutuellement, en une sorte de vertige, comme si elles avaient surgi du néant, ou comme si elles accédaient à des grandeurs infinies.
Aussi faut-il à nouveau insister sur les interventions manuelles de Baptiste Rabichon auprès des scanners. En y introduisant de la peinture, de la couleur et de la matière, mais surtout en choisissant un langage plastique comparable à l’art pictural abstrait, on peut, à propos des Chirales, percevoir une sorte de mise en abîme : l’absence technique de sens répond, en effet, à l’absence visuelle de sens. Toutes deux disent l’insondable, et toutes deux disent en même temps qu’il existe dans l’insondable même, quelques nuances. La chiralité, d’ailleurs, ne renvoie-t-elle pas à un dialogue entre le même et le différent ?
Voici alors un ultime rebondissement dans un travail qui ne manque pas de perspicacité. Il est vrai que les oeuvres de Baptiste Rabichon sollicitent une observation des plus réfléchies, par leur capacité à ramifier leurs implications et leurs enjeux. Or, on en oublierait presque l’essentiel, à savoir, le plaisir d’observer les images telles qu’elles se présentent à notre regard, et la délectation qui se dessine dans l’esprit de l’inventeur lorsqu’il examine le fruit de ses expériences. En effet, en plus de constituer des exercices de pensée, les Chirales semblent avant toute chose motivées par une absolue curiosité pour des images qui n’existent pas encore, ainsi que par leur potentiel esthétique. Autrement dit, Baptiste Rabichon n’est pas seulement une sorte de touche-à-touche un peu bricoleur dont les questionnements affleurent à la métaphysique des images et de la perception, il est, prioritairement, un artiste.
[texte] Julien Verhaeghe, “Double exposition”, janvier 2019 à propos de l’exposition de Baptiste Rabichon à la Galerie Binome du 8 février au 16 mars 2019.
A voir également….
À l’intérieur cet été à la Galerie Paris-Beijing, du 24 janvier au 2 mars 2019. www.galerieparisbeijing.com
A l’intérieur cet été, deuxième intervention de Baptiste Rabichon à la Galerie Paris-Beijing, a été conçue comme le déploiement de Dame de Coeur, présentée au sein du PBProject en Mars 2018.
Si la première exposition faisait déjà allusion à l’héroïne de Lewis Carroll, A l’intérieur cet été est à son tour parsemée de clins d’oeil au personnage d’Alice, son prénom se dissimulant d’ailleurs dans le titre.
Deux nouvelles pièces ouvrent l’exposition. La première, Netflix, titre d’une étonnante contemporanéité, représente une scène d’intérieur ; deux corps allongés, celui de l’artiste et celui d’Alice, le regard posé sur une tablette. L’apparente simplicité de ces fragments de vie est évoquée par l’artiste dans un récent entretien avec Manon Klein qui voyait dans son travail un rapprochement possible avec l’infra-ordinaire de Georges Perec : « Ce n’est pas parce-que les choses sont tissées dans notre quotidien qu’elles sont banales, c’est notre regard qui se glisse sur elles, avec une banale indifférence. Inévitable cependant, sans quoi nous serions sans cesse stupéfiés ».
C’est par le biais de son smartphone que Baptiste Rabichon recueille ces moments du quotidien. Tels les croquis d’un peintre, ces images structurent sa narration où se mêlent manipulations digitales et analogiques, collecte et composition. Expérimentations successives qui donneront naissance à une image unique, hybride, somme de temporalités bien distinctes.
La seconde oeuvre, Le Lunettier, diptyque à l’apparence très warholienne, dévoile un double présentoir de lunettes disposé en miroir. Un basculement visuel vers l’extérieur, la ville et ses vitrines, mais aussi une invitation à regarder à travers ces lunettes qui deviennent un trait d’union entre le réalisme de Netflix et l’atmosphère onirique de la série 17ème.
Dans 17ème, corpus central de l’exposition, on retrouve la figure d’Alice. Sa silhouette taille réelle apparaît tel un spectre opalin s’unissant à une flore extravagante. Les motifs floraux qui caractérisent cette série sont créés à partir de véritables fleurs cueillies par l’artiste lors de ses promenades, parfois mélangées à des scans, puis projetées sur le papier photosensible.
La lumière des parcs transparait dans l’obscurité et l’intimité du labo photo où l’artiste tente d’allier empreinte et représentation. Corps et objets sont marqués par une dichotomie entre obscurité et lumière, intérieur et extérieur, qui traduit aussi deux phases essentielles de son travail : l’isolement de la chambre noire et les mille lieux éclairés où l’artiste se promène pour récolter ses notes visuelles. Allers-retours entre la chimie et l’ordinateur, entre la vie de l’artiste et son laboratoire.
Un travail dans le noir absolu qui implique une grande concentration mais aussi un certain lâcher prise, les aléas du hasard intégrant pleinement le processus de composition. C’est sans doute cette collision, entre maîtrise et accident, qui confère à ces oeuvres cet aspect presque fantastique.
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