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texte de Julie-Marie Duro, rédactrice pour FranceFineArt.
Il n’est pas chose aisée que de se réapproprier l’œuvre d’un maître, et peut-être moins encore celle d’un maître issu d’une époque depuis longtemps révolue, d’une culture aux antipodes de la nôtre. Aujourd'hui réputé en occident pour être l'un des plus grands peintres japonais, Hokusai est sans doute avec Hiroshige l'un des rares artistes de l'Ukiyo-e dont la réputation dépasse en Europe les cercles japonisants. Ses Trente-six Vues du Mont Fuji, dont est tirée La Grande Vague de Kanagawa et dont s’inspire Raoul Ries, sont très probablement les estampes les plus célèbres hors Japon et ont déjà inspiré nombreux artistes tels que Van Gogh et Jeff Wall.
Réalisées dans des contextes culturels et socio-économiques très différents, les vues du Mont Fuji d’Hokusai et de Raoul Ries ont chacune leur portée et leur esthétique propre. Le premier observant le monde qui l’entoure et le second, observateur extérieur d’un quotidien choisi. Loin de la mise en scène et de la reproduction actualisée, l’appropriation est ici bien moins visuelle que conceptuelle. Car si certaines photographies font directement échos aux estampes du peintre japonais (cf. Hodogaya sur le Tokaido), c'est surtout par sa mise en suspension du monde que Raoul Ries se rapproche au fil des pages du monde flottant d'Hokusai. Dès l’évocation de son titre même – qui fait écho aux 36 immortels de la poésie classique ( 三十六歌仙 ) – les Trente-six Vues du Mont Fuji s’inscrivent dans une dimension poétique et contemplative. Qu'il s'agisse d'Hokusai ou de Raoul Ries, le Mont Fuji sert de prétexte à un éloge de la vie quotidienne à la marge de Tokyo au début du 19ème puis au début du 21ème siècle. Loin donc d’être un portrait à facette de La Montagne, les Trente-six Vues du Mont Fuji sont avant tout une ode à l’évanescence de la condition humaine.
En effet, le Mont Fuji, summum de la représentation du Japon en occident – et peut-être même au Japon – est ici relégué à l’arrière-plan. Mais à un arrière-plan nécessaire qui influence notre regard. Le Mont Fuji n’est pas là pour qu’on l’observe, c’est lui qui nous indique comment détourner le regard. Il offre un environnement stable dans lequel toute une série de variations, de situations anodines se succèdent. Car devant ces générations d'hommes qui s'affairent à leurs préoccupations, le Mont Fuji lui reste impassible. La Montagne dite Eternelle se déplie alors au fil des saisons et nous renvoie tant à l’infinité des possibles qu’à notre propre mortalité.
Julie-Marie Duro
Le livre signé est disponible sur le site de Raoul Ries : https://raoulries.com/
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