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“Laia Abril” A history of Misogyny. Chapter Two : On rape
à la Galerie Les filles du calvaire, Paris

du 25 janvier au 22 février 2020



www.fillesducalvaire.com

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Laia Abril, le 25 janvier 2020.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Laia Abril, Militar Rape, US, 2019. From series Power Rapes, On Rape. Courtesy Galerie Les filles du calvaire (Paris).
2/  Laia Abril, Shrinky Recipe, 2019. From series Testing Virgins, On Rape. Courtesy Galerie Les filles du calvaire (Paris).
3/  Laia Abril, Ala Kachuu, [Bride Kidnapping], Kyrgyzstan, 2019. From series Power Rapes, On Rape. Courtesy Galerie Les filles du calvaire (Paris).

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Des robes posées à plat sur un fond blanc : robe de mariée, habit de religieuse, sinistre burqa, robe africaine dont les belles couleurs ont été lavées par la photographie noir et blanc sont ridées comme des peaux qui ont trop vécu de peines, des peaux absurdes vidées de leur corps. Un uniforme de soldat, de prisonnier, une tenue sportive, un minuscule uniforme d'écolière qui achève de glacer le sang : ces vêtements sont photographiés avec la froideur forensique de preuves de crimes, leur addition forme un catalogue macabre. Le travail de Laia Abril est fortement marqué par ses années passées à la Fabrica comme éditrice au magazine Colors de Oliviero Toscani : Les objets rassemblés ici comme le produit d'un shopping mondial racontent chacun un élément de l'histoire criminelle, parlent d'un pays, d'une culture et de son rapport au viol, ensemble ils forment une mondialisation de l'horreur.

L'exposition dépasse le témoignage sur le viol, son universalité. La photographe ouvre un champ de recherche bien plus vaste en auscultant le système judiciaire et les institutions, tentant d'en démonter la mécanique qui échoue à écouter les victimes, les considérer, les protéger et leur rendre justice. Pour l'histoire on remonte jusqu'à la bible, les coutumes médiévales, les archaïsmes si barbares que l'on dirait de la science fiction. Epée, masques-cage rencontrent détecteur de mensonge et instruments policiers dans un tour du monde de médecines arriérées et de psychologues méprisants.

Un Rape Kit américain qui finira dans un entrepôt, enterrant ses prélèvements ADN dans l'oubli, croise un fer à repasser, fer chauffé au rouge, reste barbare du jugement par le feu qui déterminait l'innocence ou la culpabilité des jeunes filles. Le crime et la punition sont dans de nombreux pays basés sur une morale inversée rendant les victimes coupables. Une double peine transforme les femmes violées en accusées et les punit. Accusées de ne pas s'être suffisamment débattues, accusées d'adultère, et pire que tout, déshonneur ultime puni de mort dans certaines cultures, de ne plus être vierges. En Inde, au Népal, en Ouganda, en Afrique du Sud, en Iran ou en Irlande, c'est toute la société et ses institutions qui viole une seconde fois ces malheureuses.

Des phrases encadrées de noir comme des oraisons funèbres de cimetière illustrent la culture du viol échappant des lèvres et des tweets de leaders politiques. Sur un écran cathodique, une console montre un vieux jeu vidéo où le joueur incarne le général Custer traversant une pluie de flèches pour violer une prisonnière indienne : le viol comme récompense d'un jeu, le viol en jolies couleurs électroniques n'est rien de mieux que la dégueulasserie des lapideurs et des fouetteurs en place publique.

Alors Laia Abril cherche encore, dans les livres et derrière les rideaux, elle cherche la femme et son sexe, les mythes et le folklore, la magie et le sang menstruel, comme si il y avait quelque chose à comprendre. Tant d'horreur et d'abus nous rend muets d'effroi devant non seulement l'abomination du viol mais également devant l'ampleur de l'ancrage culturel de cette violence, du mépris, de la souffrance éternelle des mères et des filles, des sœurs et des épouses. Le mal dont nous voyons tous ces indices comme les éléments du dossier d'une enquête de police vient de la nuit des temps, de ces ténèbres d'où parait-il la lumière fut. De la galerie si blanche et lumineuse pourtant nous sortons graves et silencieux, emportant notre petit morceau de fonte, notre petit poids de plomb.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

La galerie Les filles du calvaire annonce la prochaine exposition personnelle de l’artiste Laia Abril. Le premier chapitre de son oeuvre sur l’histoire de la misogynie On Abortion a été exposé mondialement après l’émotion provoquée aux Rencontres d’Arles en 2016. Laia Abril présente à la galerie le second chapitre : On Rape.

L’artiste continue d’élargir ses archives visuelles sur le contrôle systémique du corps des femmes à travers le temps et les cultures. Sur son nouveau travail, l’artiste dit :

« En scrutant, conceptualisant et visualisant les échecs judiciaires, en tenant compte des réglementations historiques, des dynamiques toxiques et des témoignages de victimes, le projet pointe la culture du viol institutionnel répandue dans les sociétés du monde entier. Je développe ce travail en explorant les liens entre mythes, pouvoir et droit et les notions de masculinité et de violence sexuelle.

J’ai choisi ce sujet de la même manière que le premier chapitre sur l’avortement. J’ai été saisie par un fait divers local qui m’a profondément marquée. En 2017, le tribunal espagnol a libéré cinq hommes qui avaient violé une jeune femme de 18 ans, jugés pour abus sexuel plutôt que viol, remettant en question la jurisprudence espagnole face au viol. En pleine apothéose du mouvement #MeToo, je voulais comprendre pourquoi certaines structures institutionnelles telles que la justice, le droit et la politique échouaient non seulement face aux victimes de viol, mais encourageaient en réalité la violence en préservant les rapports de pouvoir et le viol comme norme sociale.

Au regard de l’histoire, j’ai pu identifier les stéréotypes et les mythes fondés sur le genre, les préjugés et les fausses idées qui ont maintenu et perpétué la culture du viol. À travers une recherche minutieuse sur les erreurs judiciaires et l’accusation répétée des victimes, ce projet montre à quel point la société blâme encore aujourd’hui les victimes d’agression sexuelle, tout en normalisant la violence sexuelle. »

On Rape se compose d’un ensemble de photographies, d’objets et de témoignages. Le projet est pensé comme une véritable installation dont l’agencement dans l’espace constitue le coeur plastique. Ces éléments interconnectés n’offrent pas une approche linéaire ou chronologique mais permettent au contraire plusieurs niveaux de lecture. En créant des ponts entre l’histoire, les lieux et les cultures, Laia Abril rappelle l’universalité du drame du viol.


Archives FranceFineArt.com :

Retrouvez l’interview de Laia Abril lors de son exposition
« Une histoire de la misogynie, chapitre un : de l’avortement »
présentée lors de la 47e édition des Rencontres de la photographie d’Arles,
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http://francefineart.com/index.php/agenda/14-agenda/agenda-news/2143-1944-arles-laia-abril